Voilà deux jours que je relis la chronique de Jérôme Garcin dans le nouvel 0bs… Elle commence par « la première fois que j’étais allé à L’Isle sur la Sorgue rendre visite, l’hiver 1984 à René Char… » Il s’ensuit une description de cette première rencontre que je vous laisse découvrir dans le dernier numéro du magazine.
Si je n’ai qu’un journal, c’est ce dernier et si je ne lis qu’un article, c’est la chronique des livres de Jérôme Garcin. Parfois c’est très peu, mais rarement aussi peu qu’aujourd’hui où je bute avec émotion sur ses premières lignes.
Moi aussi j’étais allée aux Busclats… C’était durant l’hiver 1980, je n’avais pas trente ans et venais de terminer mon premier recueil de poèmes « Alizarine ». J’avais un amoureux à Paris qui avait un ami à Avignon, les deux hommes devaient avoir envie de me plaire et se mirent en quatre pour que je puisse rencontrer le poète que je venais de découvrir lors d’une exposition qui lui avait été consacrée à la Bibliothèque Nationale...
C’est ainsi que lors d’un après midi glacé et brumeux de février ou de mars, je pris la route de l’Isle –sur-la-Sorgue. L’ami d’Avignon m’avait dessiné un plan que j’ai longtemps gardé et que ce soir là, je tentais de suivre scrupuleusement. Sur le siège du passager, j’avais posé à l’intention du poète quelques poèmes récents mais hélas, je ne possédais pas l’incontournable carte Michelin du département. L’oubli fut fatal. Je m’égarai sur une route boueuse entre deux champs de lavande et n’apercevant ni maison ni hameau dans la brume du soir, je décidai de faire demi tour. Bien m’en prit, ma voiture s’immobilisa après avoir patiné sur le talus gorgé d’eau.
J’étais debout sur le chemin, attendant la nuit et une idée pour me sortir de là, lorsque je vis arriver un homme de grande taille à la démarche pesante d’un paysan. L’homme s’approcha de moi et s’inquiétant de ma présence à cette heure tardive sur ces chemins de campagne, me proposa de m’aider à déplacer la voiture.
Tout en guidant mes manœuvres, il se pencha vers moi et s’enquit de la raison qui m’amenait sur la route de Saumane. Je lui répondis que j’étais venue sur le conseil d’un ami Y* pour voir René Char. Il se redressa et me dit :
- Je suis René Char ! Mais pourquoi Y* ne m’a-t-il pas appelé ?
- Il devait le faire…
La nuit était là, il me fallait rentrer, René Char avait des amis à dîner. Il me proposa de revenir le lendemain et je ne pouvais pas. Un autre rendez-vous m’attendait, un de ceux que l’on ne déplace pas, même pour René Char. Une visite à la prison des Baumettes.
Je quittai Avignon le lendemain à l’aube pour Marseille et je regagnai Paris le surlendemain. A mon retour je reçus un petit mot très touchant de René Char, puis une autre lettre quand je publiai Alizarine. C’était un éloge sensible, presque fraternel, qui effaçait la distance, les années entre nous. Il promit de m’appeler lors d’un de ses passages à Paris et le fit plusieurs fois. Mais malgré nos échanges d’appels et une ou deux lettres, je ne le revis jamais. Emportée dans la tourmente d’une vie, j’étais au Congo quand il mourut. Plus tard des amis de l’Isle sur Sorgue m’offrirent cette photo de lui où je retrouve la stature imposante de l’homme de la route de Saumane.