Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Sybille de Bollardière
commentaires

La voie d'accès... Ecrire

30 Mars 2011, 22:18pm

Publié par Sybille de Bollardiere

      Ham6031-l.jpg     Hammershoï Interior with woman at Piano,1901

 

J’écris, enfin je crois, depuis toujours et pourtant je n’y arrive pas.

J’ai baptisé mon journal « la voie d’accès » mais je sais bien qu’il n’arrive nulle part. Un journal ne se publie pas, ça ne se fait pas. C’est une voie à sens unique dans laquelle l’auteur se délivre avant d’écrire autre chose. Un journal, c’est tabou et insignifiant comme une journée, misérable et grotesque comme la peur, le doute, les faux espoirs et la fatuité aussi.

Au fond l’écriture c’est avant tout une histoire de territoire, un lieu que l’on habite et que l’on défend - sa langue – dans le désordre parfois. Ecrire, c’est violent, doux, familier, étrange, terrifiant éprouvant, passionnel, raisonné et courageux. C’est la vie, mais celle d’à côté et bientôt il ne vous reste plus que ça, cet instant décalé où l’on écrit déjà dans sa tête avec sa sueur d’encre au front.

L’écriture c’est un territoire que l’on surveille et que l’on délimite tout en repoussant sans arrêt ses frontières. C’est le vide, l’attente, le guet, la veille, mais aussi l’épuisement, le relâchement, les mots qui se perdent. La trahison des nuits se mesure au jour dans l’éclat de l’impitoyable lumière. Et ce double qui vous fuit, se rapproche, vous séduit, vous emporte et vous abandonne sans cesse.

Ecrire, c’est nommer, l’innommable parfois. C’est s’avancer à tâtons jusqu’au bord du gouffre, se pencher, vertigineuse, vers cette fosse commune avec la tentation d’en parler et pour finir : la tentative désespérée d’écrire autre chose. « Non, je ne peux pas, mais plus tard, un jour, il faudra bien ». Parfois on se dit qu’il faut écrire un chef-d’œuvre et alors le reste ce ne sera plus la peine, il y le journal pour ça.

Comment se délivrer de soi sans encombrer l’autre ? On essaie de transformer la matière de l’écrit jusque dans la moindre de ses particules, on cherche du liant, le balancement des phrases et ses mots conquis en poésie, toujours fidèles au poste. On fait de l’authentique avec la part reniée de soi-même, comme un faussaire qui n’aurait pas le choix… Parce que la fosse est toujours là avec le hurlement des chiens et les yeux jaunes de ceux à qui on n’a rien dit et qui pourtant la devine.

Oui, écrire c’est parfois renoncer à écrire et accepter de pleurer, muette sur ce que l’on ne sait pas transformer. Assis devant l’écran de ses jours gris, le corps s’efface et songe à cet autre dont il avait rêvé. Ecrire à deux voix, je ne demandais que ça, petite, quand j’inventais l’histoire et qu’on me tenait le stylo. La pensée naît du corps, l’écrit est dans son sillage comme une barque sur la mer. Je crois que j’écris comme on prend la mer, pour tout quitter et tout retrouver.

Parfois je crois que je pourrais vivre sans écrire mais cela ne dure jamais bien longtemps. Les chiens sortent de la fosse et puis, il faut tout recommencer… Et les débuts sont si difficiles, on l’oublie parfois. On recommence à écrire…  A regarder « en mots » tout ce qui nous entoure, ça calme et ça éloigne, on devient gentil et solitaire, fréquentable et malheureux. L’écrit c’est un écran entre les autres et soi qui ne cède pour ainsi dire jamais, parfois, on le souhaiterait, par exemple en amour.

J’écris contre la nuit, contre la mort, l’absence et la peur. J’écris pour durer et réparer et tous ceux qui écrivent sont de ma famille, c’est une évidence depuis l’enfance.

Il faut le dire aussi, écrire c’est un bonheur unique, la jubilation même, lorsque l’on s’approche de la justesse sans pour autant quitter la brièveté. Ce que l’on arrive à dire doit tenir entre deux points – Ce pourquoi j’aime les phrases longues…

Bonheur aussi avec la sensation d’être l’élue qui accueille chaque instant deux fois. Femme éponge qui se réjouit avec la vie, chaque manifestation de la vie : ce matin quelques grains de sable poussés par le vent et hier le souvenir du bruissement des peupliers qui inonde une vallée. L’écriture c’est parfois l’immobilité, l’instant pétrifié, saisi, quand on va au fond de soi. Alors on se ravise et on se dit « qu’une autre fois, plus tard » et on va dehors… Regarder ceux qui marchent, rient et se prennent la main, on se met à les décrire, à se les approprier en imaginant non seulement leurs vies, mais leur corps, leur intimité et leur histoire.

C’est comme cela, qu’un jour il vous arrive d’être publiée.

Publier, c’est cette ouverture vers la lumière, la porte invisible qui délimite un seuil que l’on met pourtant beaucoup de temps à franchir. Publier c’est blanc, propre comme le papier. C’est fixer, délimiter, certifier, corriger et comptabiliser ses mots, son travail. C’est aussi couper, signer et porter son masque, tout en posant son crayon, l’ardeur des nuits et des jours. Il faut se détendre, retrouver son corps, son genre aussi. Quand j’écris, je suis du genre féminin pluriel, j’ai le « nous » facile. Publier c’est revenir au féminin singulier quand on est jeune, au singulier tout court quand on est plus âgée.

Etrange à vrai dire, enthousiasmant parfois. Publier, c’est remercier, dédicacer, empaqueter, écouter oui, écouter l’autre enfin. Cet autre qui s’approche à qui l’on voudrait dire à voix basse :

-  Viens c’est pour toi ce livre ! Lis tout, jusqu’au bout ! Tu aimes ? Non ne me remercie pas, je vais recommencer.

Parfois on se relit, stupéfait. Le livre que l’on ne voulait pas écrire finit toujours par vous rattraper. Ca vient de biais par un personnage qui dit des choses que l’on connaît très bien car l’écriture c’est aussi un combat souterrain.

Un matin on se dit qu’on est devenu le héros inutile de son livre alors, vite il faut s’enfuir et retrouver la douceur du silence. Dans la solitude de l’écriture il y a la douceur d’être à soi dans le cocon de ses mots, l’enveloppement de sa syntaxe. Bientôt à nouveau il n’y a plus rien d’autre.

 

Publié en août 2009 sous le titre "Ecrire"

 

 

 

Voir les commentaires

commentaires

Exercice d'admiration et un certain bonheur

28 Mars 2011, 11:05am

Publié par Sybille de Bollardiere

fond2.jpg

 

 

 

Les marges des livres auxquels on tient sont pavées de nos bonnes intentions littéraires. Stimulés par l’illusion d’un échange ou d’une filiation secrète, on se prend à rêver d’une œuvre à soi à l’ombre d’une grande figure. On emporte ses livres au fil du temps et des lieux, partout, et il arrive parfois que les pages de garde se transforment en carnet de notes où les vœux d’écriture se superposent en strates successives avec les exercices d’admiration.

 

Relisant Cioran qui redécouvrait de Maistre, je retrouvai cette phrase à propos des éloges bien encombrants du grand énergumène :

« Il n’est qu’une manière de louer : inspirer de la peur à celui que l’on vante, le faire trembler, le contraindre par l’hyperbole généreuse, à mesurer sa médiocrité et à en souffrir. Qu’est ce qu’un plaidoyer qui ne tourmente ni ne dérange, qu’est ce qu’un éloge qui ne tue pas ? Toute apologie devrait être un assassinat  par enthousiasme »  Cioran Exercice d’admiration – Joseph de Maistre

 

Aujourd’hui lundi, la journée s’annonce sous un ciel transparent et l’on oublierait presque les nuages sombres de l’actualité. Un vent inodore et mauvais souffle sur nos têtes. Pourtant une joie imprévue me fait écrire en marge : Nous ne sommes jamais innocents des moments de bonheur que nous vivons. Acteurs dans l’âme, nous recherchons la scène. Un dieu voyeur nous l’offre parfois et nous l’en remercions sans trop s’appesantir, certains qu’il y aura, lui aussi, pris son plaisir.


Voir les commentaires

commentaires

Seules quelques étoiles

20 Mars 2011, 23:18pm

Publié par Sybille de Bollardiere

20032011018.jpg

20032011019

 

 

La peur monte la garde omniprésente, surtout le soir quand le village se replie volets battants sur la nuit qui l’étreint. Seules quelques étoiles défient le temps silencieux du clocher. Quelques heures encore et les ombres regagneront les lisières.

Demain.

Je devine, tremblante dans la lumière du matin, la branche du cerisier en fleurs.

 

Voir les commentaires

commentaires

Extrait une femme d'argile

19 Mars 2011, 23:11pm

Publié par Sybille de Bollardiere

Congo

L’agonie de la scolopendre avait duré toute la nuit. Longtemps encore j’allais entendre le crépitement de ses pattes sur les parois du plat en verre qui la maintenait prisonnière. Dans l’air raréfié, ses mouvements ralentissaient puis reprenaient par spasmes de plus en plus espacés, jusqu’à ce que le silence m’informe de son asphyxie.

Il faisait terriblement chaud ce soir-là, comme si la vapeur des premières pluies s’était concentrée dans ce repli des plateaux où coule la rivière Mokuliti. Le mille-pattes géant s’était aventuré dans la maison aux premières ombres du crépuscule, je l’avais aperçu à la lueur de ma lampe-torche, ondulant le long des murs comme une gigantesque arête articulée. C’était un soir d’octobre et je m’apprêtais à me coucher après avoir contemplé le soleil rouge de ce pays d’Afrique centrale où je vivais depuis plusieurs années. Seule Européenne à des kilomètres à la ronde et recluse volontaire dans cet endroit sauvage, je supposais qu’on m’avait oubliée. L’absence de route filtrait inexorablement les nouvelles. Les combats avaient dû cesser, on n’entendait plus les tirs au petit matin, et les longues colonnes de fumée noire que l’on pouvait observer depuis les plateaux avaient diminué. De loin, la ville paraissait assoupie dans sa brume. Je guettais le retour des pluies comme si elles avaient le pouvoir de laver la honte et la douleur des vaincus, mais la saison sèche s’éternisait et sous un ciel de plomb, le fleuve charriait sa moisson de cadavres et les vestiges des bancs de sable.

Sous la paillote au bord de la rivière, je rêvais de pouvoir à nouveau profiter du chant des oiseaux et de celui de l’eau quand elle dévale les collines après les averses. Je m’efforçais de vivre au jour le jour, en évitant de penser à ce qui m’avait conduit ici. Mais, ce soir-là, la chaleur et les mouvements de la scolopendre dans sa cage de verre avaient raréfié l’air, c’est moi qui m’asphyxiais, moi qui luttais le long des murs dégoulinant d’humidité contre des escadrons de moustiques. Je regagnai la chambre, laissant la lampe allumée dans le couloir non loin de la « bête » que je voulais pouvoir surveiller. C’était une énorme scolopendre, elle devait mesurer près de quarante centimètres et ses pattes venimeuses semblaient inoffensives dans leur immobilité. Malgré la chaleur et les insectes qui entraient par les trous de la moustiquaire, je m’endormis. Dans mes rêves, l’abominable mille-pattes glissait sur mon corps. Au petit matin, la lampe s’éteignit, faute de pétrole. Armée d’un balai, je soulevai le plat et poussai l’insecte inanimé dans la cour. Mais soudain, je le vis se raidir, se redresser, puis filer vers la maison, totalement régénéré. Frissonnante de dégoût je suivis la scolopendre armée du couteau de canne qui me servait à défricher les abords de la rivière. Ce fut un vrai carnage ; je tronçonnai le monstre en plusieurs morceaux qui s’animèrent immédiatement d’une vie nouvelle. Horrifiée, je découvris que rien n’arrêtait la prolifération de la créature. Elle se multipliait au rythme de ma folie meurtrière. Déjà je l’imaginais colonisant le moindre recoin, le moindre buisson pour reconstituer ses forces, se reproduire à l’infini. La bête allait revenir chaque nuit, comme la peur, quand, le jour défait, on commence à guetter dans le silence ces bruits inattendus qui signalent une présence.

Il fallait en finir, partir. À l’heure la plus chaude, quand le soleil blanc écrasait les collines de son haleine de forge, je fis lentement glisser la pirogue sur la grève. Je n’avais pas grand-chose à emporter, un vieux sac avait suffi à contenir le maigre butin de ces derniers mois : quelques livres, des cahiers de notes, des vêtements pour la plupart usés et défraîchis. Je décidai de garder sur moi mon arme, un 357 Magnum que je ne quittais plus et je laissai mon refuge des plateaux aux pillards et à la prolifération des scolopendres

La rivière Mokuliti glissait sous les buissons et les hautes herbes vers la forêt-galerie et les vestiges d’un ancien village de pêcheurs. Autrefois c’était là que je venais cueillir des mangues sauvages... Autrefois, quand le Congo[1] n’était encore pour moi qu’un mirage exotique et coloré. Mais, ce jour-là, je ne regardai pas le paysage, j’évitai les zones découvertes de la rivière, préférant m’en tenir à une navigation prudente et silencieuse le long des berges. J’offris mon dos et ma chemise aux griffes des épineux, guettant à la rapidité du courant l’imminence d’un étranglement, les rochers et, plus bas, le confluent avec le fleuve. Aucun signe de vie sur des kilomètres ; les rares habitants des rives avaient dû fuir vers les forêts lors des derniers combats. Il ne restait que quelques pirogues dissimulées sous le feuillage et, çà et là, comme suspendues dans le temps, des huttes couvertes de lianes.

En arrivant au confluent, je vis une dernière fois la ligne bleue des plateaux et la lisière des forêts de bambous. Je quittai l’eau claire de la Mokuliti pour la nonchalance trompeuse du grand fleuve couleur de thé. Devant moi, il s’étalait souverain, repoussait ses berges vers les lointains pour laisser la place aux îles et aux bancs de sable éphémères de l’hiver austral. Je naviguais sur le Pool[2], une véritable mer intérieure, un paradis, si l’on excepte l’accablante chaleur et cette absence d’oiseau dans le ciel qui rend le silence oppressant. Je gagnai les courants qui longent les îles. L’eau se fit plus mince, ma pagaie s’enfonça dans le sable en soulevant une vase laiteuse et écœurante. Une fois encore, je voulus revoir ces plages immaculées, me brûler les pieds en m’enfonçant dans ce sable crissant sous les pas comme de la neige fraîche. Une fois encore, je longeai les hautes herbes qui poussent en une saison et finissent avec les pluies dans les tourbillons des rapides en aval de la ville.

En finir avec l’Afrique supposait aussi d’en faire provision, d’amasser des images pour un temps de famine quelque part, ailleurs, dans un monde devenu étranger que je pourrais peut-être nommer un jour « chez moi ».

J’avais aimé ces îles sans nom qui, d’une saison à l’autre, ne se ressemblent jamais, ces huttes provisoires que l’on dressait pour la journée comme des Robinson soucieux de protéger leur intimité. J’avais aimé ces traces de pas qui n’étaient pas les miennes et dans lesquelles je me glissais pour ne pas « le perdre ». Des pas d’homme immenses qui annonçaient sa silhouette là-bas dans les roseaux, épiant les rives, les pirogues et les barges descendant du nord chargées d’hommes et de marchandises.

« Le pays du Fleuve », comme je l’appelais, m’avait fait cadeau de tout, il fallait lui rendre justice, accepter de partir pour survivre, pour renaître ailleurs.

(...)

"La piste devenait de plus en plus pénible, des milliers de mouches nous encerclaient dans les hautes herbes et parfois il nous fallait sortir de la voiture pour trouver un nouveau passage. Soudain, j’eus la vision d’une immense allée de fleurs jaunes qui nous guidait vers un lac encerclé de collines mauves. Pierre me prit par l’épaule, stoppa le moteur et me dit :

- Regarde, c’est le fleuve.

Nous avancions sur une nuée de papillons jaunes qui recouvrait les flaques d’eau boueuse de la piste. Là, il avait plu. Qu’importait notre pauvre butin qui chauffait dans le coffre et nos visages noircis par les brûlis de la plaine. Nous étions comme transfigurés par le paysage. Pierre m’observait et comme j’essayai de parler, il me dit :

- Ne dis rien Julia, un jour tu comprendras qu’on peut faire de grandes choses ensemble ici."

[1] République du Congo souvent nommée Congo- Brazzaville.

[2] Le Pool (anciennement Stanley Pool, parfois Malebo Pool ou lac Ngobila) est un lac formé sur le fleuve Congo inférieur. Il est long d’environ 35 km sur 23 km de large, soit près de 400 km2. Au centre est située l’île M’Bamou et de part et d’autre, au sud du grand lac, se trouvent se trouvent les capitales des deux Congo : Brazzaville et Kinshasa.

 

Extraits d'Une femme d'argile

 

Voir les commentaires

1 2 > >>