La plage
Saint Lunaire, Le Goulet, juillet 2012
Chaque jour j’écris la plage ou plus exactement je n’écris pas mais c’est bien aussi de se retrouver là où j’ai tellement aimé. Ici où tout est lié, enchevêtré. L’amour et le souvenir que l’on en a, l’espoir qu’on cultivait et cette déception qu’on a promené parfois en fin d’été, juste avant les buissons de mures et le retour à Paris. Oui l’amour, la mer, les vacances et tout cela superposé avec les courses essoufflées de l’adolescence. Je me souviens de la côte à bicyclette, des pneus crevés et des pluies barbares qui nous coupaient la route, mais pas le désir ni l’envie de se vautrer à flan de falaise dans le lit détrempé des amours aoutiennes.
L’irruption du beau temps au cœur de l’été est aussi magique que confondante. On se souvient des étés solaires et lumineux et l’on enterre ceux que l’on passait glacés à rêver d’un ailleurs qui se faisait attendre. C’est pourtant aux étés de pluie que l’on a tout donné mais on veut l’oublier, comme on efface ses souvenirs pour les réinventer et s’offrir un avenir dans les marges d’un cahier.
Je crois que l’on peut mourir de ne pas réussir à écrire, de ne pas pouvoir partager ce qui a été à un moment si capital qu’on s’était juré de n’en rien perdre et de s’y installer avec ses mots, ses images comme un chez soi où l’on pourrait recevoir. Parfois il faut renoncer, décider de vivre et remettre à plus tard ce grand projet qui n’intéresse que soi. Il faut vivre et écrire simultanément, on en revient toujours là. Le présent s’étale dans le temps, sur des heures, des journées de bleu, de plaisir, de fatigue. C’est une myriade d’instants comme les grains de sable de la plage où je suis alors que ce je tirerais d’aujourd’hui en écrivant devra être intense, court, tenir en quelques phrases, restituer le ciel bleu marine, le rire de la petite fille, le crissement des pelles des enfants sur le sable humide, l’horizon des îles sous une brise de nord ouest et l’absence. Oui l’absence, comme s’il devait toujours manquer quelque chose à ce qui compte. L’absence de ce qui n’est plus ; d’autres étés, un amour et ce petit garçon qui marche dans ma mémoire. L’absence de ce qui n’a pas eu lieu et dont j’avais rêvé quand je m’installais ici pour une vie entière été comme hiver. Mais tout cela n’est rien comparé à l’absence de ceux que je n’ai pas rencontrés et qui manquent à ce décor. Leur silence pèse sur le paysage même si, parmi ceux qui m’entourent, personne ne le sait.
Saint Lunaire, la grande plage, juillet 2012