bleu verre
Auteure. Romans, récits, poèmes. Atelier d'écriture, photos.
Quand la nuit des banlieues s’installait sur les lisières anonymes,
J’ai voyagé.
J’ai vu le monde noir, nu et affamé en travelling sur les rails de mars
J’ai senti son âme expirer d’un soupir dans les cendres des polymères
Un monde de peu de mots, de pas grand-chose au fond quand on ne fait que passer,
Qu’aimer d’un revers de page ce qu’on aurait pu vivre une vie entière.
Et pourtant, la peau de chagrin des voyages est une chance mesurable
Ici ou là, sans rien en vouloir, je me défais de moi et me remplis de tout
La solitude tisse une toile, la seule qui vaille, où se reflète le monde
Alors seulement,
J’ai pu sentir sur ma peau la vague noire des buffles dans la ville blanche
Le souffle des nuits quand la mer draine la terre endormie
Les combats de l’aube dans l’acre fumée des feux
Quand le jour distrait s’offre au cri des corbeaux
Parler ou tenter de le faire de l’objet du poème, d’amour, de haine
Ou des méandres de la fiction vous tombe des mains
Sans artifice, la langue des corps efface
L’homme, l’enfant, le souvenir pour le « bel aujourd’hui »
J’ai fait vœu d’ignorance et d’animalité
Et j’aime ce peu qui me reste d’humain et me permet d’écrire
Ce que je deviens et où je m’en retourne
Poète, nu, soufflant comme un buffle dans la nuit
Si j’ai chevauché l’absence et les désillusions, j’ai semé aussi
Parfois sans le savoir, un peu de ciel entre mes pas.
2012
Le temps d’un éclair
D’un de ces éclairs bleus qui lèchent les rails
Le temps d’une gare
Au hasard de cette vie étrange
Et je repartirai
Dans l’humide brume d’un soir de décembre
Les yeux pleins de nuit
Dans ces forêts étranglées de barbelés
Où les fées ne viennent plus jamais
Le temps de l’amour
Le temps de l’oubli
Et je repartirai.
1970
Territoires
Sybille de Bollardière
Poèmes 1970 -2012
Dont Alizarine, Le Pont de l’Epée (épuisé)
Les poèmes du Djoué
232 pages
18 €
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Le Chesnay, 8 octobre 1983
Paysages effleurés ces derniers jours, la forêt entre Rambouillet, Saint Léger et Montfort, la terre le soir sous la lumière rasante. Les tracteurs ont remplacé les moissonneuses. Je vais d’une salle d’attente à l’autre avec mon compteur en tête (6 médecins par jour). A Maurepas je retrouve cette vieille femme rencontrée il y a quelques mois. Je me souviens, elle pleurait dans le couloir du Docteur D. parce que « son garçon »-qui n’était pas son fils mais son petit-fils « mais vous comprenez Docteur, il n’y a plus de vrais parents… » avait une hépatite.
Il s’appelle Karim et est assis devant moi dans la salle d’attente, une douzaine d’années, brun, un peu olivâtre, long et fragile avec des lunettes et air résigné et triste. Elle, une vieille femme au visage boursouflé et rouge, elle se tord les mains pour contenir leur tremblement, s’excuse de ne pas avoir salué avant de s’asseoir et puis se retourne vers l’enfant, la voix nouée par l’émotion :
"Tu sais j’ai parlé au Docteur, pour ton cœur ce n’est pas grave seulement il faudra que tu fasses attention, tu ne dois pas courir comme avant… Au fait c’est quel jour demain ?"
"Samedi , répond Karim qui essuie ses yeux avec une expression d’ennui et de lassitude en passant son doigt sous les lunettes… Et demain ce sera dimanche…"
Karim n’a pas de chance
Sur la Seine, le 9 octobre 1983
Ecluses tout au long de notre remontée de la Seine. Dominant mon vertige, je vais à l’avant de la péniche, pour l’amarrer sur les quais. Parfois je ferme les yeux pour avancer sur les passerelles, aveugle j’ai plus d’équilibre.
Nous remontons au-delà de Paris, le paysage a changé, fini les usines et les ports délabrés, maintenant la rive est sauvage, bordée de saules et d’herbes folles.
Ecluse encore, murs couverts d’algues avec sous mes doigts la belle usure des cordages, je grimpe à l’échelle au dessus-du vide, entre les bateaux. C’est une victoire éreintante, totalement insignifiante pour les autres qui ne « savent pas ». J’essaierai de préserver coûte que coûte un monde extérieur vivable. Je m’accroche à mon journal, à mon écluse à moi.
C’est aux nuits que je sais où nous sommes car toujours je cherche la lueur mauve du ciel à l’endroit des villes.
La Seine, 10 octobre 1983
A Melun le soleil qui salit les vitres et les vagues dont l’éclat vibre sur le plafond de la cabine. Je lis le journal d’Anaïs Nin. « Encore » dit simplement J. en ouvrant une autre bouteille.
New-York 29 octobre 1983
Les hublots du Concorde brulants de soleil sur la mer bleue. Les yeux rivés sur l’horizon, j’écoute de la musique pour ne rien entendre de ce qui se passe dans l’avion et puis c’est là, la ville qui émerge dans le soleil levant, rose, ocre, les tours de Manhattan. La côte, les maisons en bandes rectilignes, des marais, des lagunes près de l’aéroport.
Une lumière d’été, vive, avec les couleurs de l’automne ici moins avancé qu'à Paris. Un taxi jaune et Franck Sinatra sirupeux à la radio. Tout ce que je vais décrire de cette ville sera naïf, éculé.