Mardi 9 juillet 2013 Dans le train
Les martinets hauts dans le ciel, plongeant dans le bleu immense et dans les rayons du soleil, l’éclat mouvant d’une toile d’araignée. C’est un matin ordinaire et j’écris sur mes genoux dans l’abri du quai de gare. Un abri de tôle perforée qui ne craint plus les casseurs mais ne protège ni du vent, ni de la pluie, ni du froid. Ca tombe bien, il fait beau et on n’a pas besoin d’abri aujourd’hui. Je le laisse vibrer entre ses boulons mal vissés, gémir à l’approche du train et je m’assieds au premier étage, dans l’unique place ou l’on ne peut avoir pour compagnon que sa valise. Ca tombe bien j’ai une valise.
Hier, en saluant mon amie Catherine qui partait pour la Suède, j’ai réalisé qu’un voyage, comme un roman est un choix, choix de ne pas tout dire comme de ne pas tout voir. En roulant vers Paris je prends conscience du poids de ce que je n’écrirai pas, de ce qui restera orphelin entre les pages, dans les notes du cahier. J’entends le gémissement effroyable de ce necessaire silence. je déteste ça.
L’été, l’absence, un départ et les promesses que l’on se fait à soi-même à la veille de ne jamais changer. Vivre dans le temps présent, penser chaque instant dans sa lumière, sans retour, comme on marche sur un sentier en découvrant simultanément le paysage qu’il traverse. Etre là, complètement là et pas déjà au bord du cahier à noter des débris d’un présent à peine refroidi. Villages avec leurs toits de tuiles fatiguées par un hiver, champs avant la moisson et plus loin des près fraichement fauchés comme en témoignent les ballots de paille posés sur le paysage.
Quand j’entends la moissonneuse comme hier tard dans la soirée, aller et venir dans l’étroit vallon, je pense au poète Gustave Roud, à ce qu’il écrit de l’été, des moissons et des hommes qui les font surtout. J’ai toujours une certaine appréhension à partir d’ici à cette saison, chaque minute est belle, vibrante de lumière, de chants aussi.
Jeudi 11 juillet 2013 Saint V.
Demain le départ pour l’Ouest. Je vais vivre d’instants, lire des morts, uniquement des morts jusqu’à mon retour. Mais pas des moindres : Henry James, Jane Austen pour la plage et Diderot – que je dois à mon libraire Marc. Une vraie perle que ce petit livre « Lettre sur le commerce de la librairie » 1763.
Je dis « mon libraire » sans intention de propriétaire, mais avec reconnaissance. Marc aime les écrivains, les livres et il prend même soin de nous les faire aimer. Donc je lisais Diderot dans le soleil déclinant :
«Un fonds de librairie est donc la possession d’un nombre plus ou moinsconsidérable de livres propres à différents états de la société, et assorti de manière que la vente sûre mais lente des uns, compensée avec avantage par la vente aussi sûre mais plus rapide des autres, favorise l’accroissement de la première possession. Lorsqu’un fonds ne remplit pas toutes ces conditions, il est ruineux. » On ne peut être plus clair. Et Diderot ajoute plus loin « Ce n’est pas un commerçant qui vous parle, c’est un littérateur que ses confrères ont quelquefois consulté sur l’emploi de leurs talents »