Philippe Jaccottet dans La Pléiade et Pensées sous les nuages...
Philippe Jaccottet à Grignan DR
"D’images en images glisse avec bonheur la pensée qui est pareille à un rêve ; elles sont en effet comme des portes qu’on ouvre l’une après l’autre, découvrant de nouveaux logis, mettant en communication des foyers qui paraissent incompatibles ; un esprit soucieux d’honnêteté en tirerait-il tant de joie si elles étaient absolument dépourvues de fondement réel ? Ne faut-il pas penser plutôt que, même sans être jamais vérifiables, elles nous portent vers ce qu’il peut y avoir autour de nous ou en nous de vérité cachée ; ou même qu’elles rebâtissent à chaque fois, dans l’esprit du songeur, des clartés toujours nouvelles et toujours à refaire ?
Qu’un poète soit un arbre couvert de paroles plus ou moins parfumées n’est pas une image très juste, puisque ses paroles changent et que nul ne peut les prévoir ; il est vrai cependant qu’un jour il semble s’écrouler comme l’arbre, et pourrir. Mais non sans avoir tout essayé pour que ce qui tombe alors ne soit plus qu’un vêtement superflu, l’uniforme de son office terrestre, et que tout ne se réduise pas à ce dépouillement."
Philippe Jaccottet « Bibliothèque de la Pléiade », 20 février 2014, p. 109-110 (La Promenade sous les arbres)
"On ne peut pas écrire tous les jours, à heures régulières, comme le paysan laboure un champ ou comme le clerc feuillette et annote ses minutes. On est plutôt pris entre deux dégoûts, celui d’écrire ce que l’on écrit (de ne pas le faire mieux, autrement) et celui de ne plus rien faire du tout, qui est pire. À moins de changer de métier, ce qui est vraisemblablement utopique. Les paroles devraient donc se frayer un chemin entre ces deux insatisfactions, dans un étroit espace où elles trouvent peu d’aliment, peu de feu. Alors que l’air et l’espace autour de nous séparent si largement les choses les unes des autres, et peuvent si aisément être franchis."
Philippe Jaccottet, Œuvres, préface de Fabio Pusterla, édition établie par José-Flore Tappy, avec Hervé Ferrage, Doris Jakubec et Jean-Marc Sourdillon, Gallimard, collection « Bibliothèque de la Pléiade », 20 février 2014,p 634 (La Semaison)
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Quelqu’un tisse de l’eau (avec des motifs d’arbres
en filigrane). Mais j’ai beau regarder,
je ne vois pas la tisserande,
ni ses mains même, qu’on voudrait toucher ;
Quand toute la chambre, le métier, la toile
Se sont évaporés,
On devrait discerner des pas dans la terre humide…
* * *
L’aurais-je donc inventé, le pinceau du couchant
Sur la toile rugueuse de la terre,
L’huile dorée du soir sur les prairies et les bois ?
C’était pourtant comme la lampe sur la table avec le pain.
Philippe Jaccottet
Pensées sous les nuages, poèmes
Gallimard - 1983