Cette sorte de bleu...
Comme beaucoup d’autres avant moi, j’ai longtemps cru que le bleu avait toujours existé. C’était une couleur simple et rassurante, douce et froide comme un baiser sur le front. Le bleu enveloppait le monde de haut en bas, de nuit comme de jour, se contentait de foncer le soir avant de s’éteindre. L’on parlait alors de bleu nuit, de cette sorte de bleu profond et troué d’étoiles que porte l’infini, mais c’était toujours du bleu, un élément dans lequel nous baignions, un liquide primordial, immortel comme notre envie de connaitre et de durer.
Un jour j’ai découvert que le bleu n’était pas une couleur mais une transparence, un reflet. J’ai réalisé que ni la mer, ni les lacs, ni le ciel ne contenaient la précieuse teinte. Elle n’avait jamais existé que dans notre regard, dans les critiques aussi. Pour certains le bleu est décevant, il passe au soleil, vire au gris quand ce n’est pas au blanc, c’est une nuance désuète que l’on réserve aux vierges, aux enfants, aux naïfs, une peur, une douleur que l’on porte sous la peau, une sauce un peu grasse qui dessert la truite et n’améliore aucune bonne viande. Il y a toujours eu des choses à dire sur le bleu, c’est un pigment de mots et d’humeur, un état d’âme qui s’empare des heures du soir et des lendemains de naissance quand le nouveau né pleure et que la jeune mère réalise non sans raison, que plus rien ne sera comme avant.
Outremer, bleu cæruleum –celui que je préfère – de Prusse ou de Cobalt sans oublier le bel indigo d’Essaouira. Le bleu c’est aussi le pavot de l’Himalaya, le martin pêcheur, une mésange, la bouillie bordelaise, le bleu de chauffe, le bleuet et ce papillon que je photographie sur la fleur de sédum en septembre. C’est un cèdre, une ligne qui sculpte les Vosges dans notre histoire, un iris et toutes les qualités que l’on prête aux sages. C’est encore la crevette bleue du Gabon, un crocodile du Kenya, une étoile de mer, la tarentule versicolore, le persan bleu, une grenouille équatoriale particulièrement toxique et le gavial du Gange. Le bleu est rare et polymorphe, charmeur, consensuel, un peu enfantin. Mais ce bleu de mots n’est pas la source que je cherche et que j’imagine aussi souterraine qu’une veine de pierre. Une couleur à l’état pur comme le lapis lazuli des origines, l’éclat d’un saphir ou d’une aigue-marine. Alors je cherche encore car pour moi c’est l’encre des jours à venir, un livre à écrire sous la perfusion du sang bleu des limules.