La Peur et autres phobies
Comment parler de la peur sans évoquer ces longs couloirs qui vous conduisent à l’enfance ? Pour moi la peur est un corridor vert et noir, une source d’ombres et de mystères. Elle a le goût des nuits sèches, le toucher collant d’un linoléum qui dissimule le parquet sans en atténuer les craquements. C’est une forêt un soir d’été sans lune où les enfants sont censés apprendre à ne plus craindre le noir en marchant sur un chemin qui s’enfonce sous leurs pas. La lampe torche que tient le plus jeune vacille, il y en a un qui pleure - toujours le même - et mon cœur d’aînée fait tant de bruit dans ma poitrine que ne n’entends plus rien. Nous sommes les héritiers du Petit Poucet mais nous avons bien dîné. Si ma peur silencieuse me fait avancer plus vite je n’oublierai pas.
Des années plus tard la peur est toujours là, omniprésente. C’est le cri d’un enfant ou un chien jaune qui me poursuit en hurlant. De nuit ou de jour, peur de tout ou de rien, le peureux est parfois téméraire la peur est alors sa compagne raisonnable. Attendre… ausculter les bruits de la nuit équatoriale et sentir s’approcher ce que l’on redoute. Le cœur s’arrête et l’on ne perçoit plus que le glissement de la sueur sur sa peau. La peur sent mauvais, nous dénonce à la moindre brise, au moindre regard. Les bruits s’éloignent, ils ne sont pas moins redoutables mais ne nous menacent plus directement. Cédant au jour qui s’annonce, les terreurs nocturnes réelles ou imaginaires, s’effacent est-ce en souvenir de ces nuits-là que j’aime tant l’aube et sa délivrance ?
Quand avec le temps, le déferlement d’images qu’elle provoque s’apaise, la crainte change de nom, Acrophobie. La peur est une salle d’attente, un inventaire que l’on tient à jour ému de ses moindres victoires. On apprend à surmonter, à biaiser ou à fermer les yeux sur ses faiblesses et son amour-propre, plus tard à sourire de soi. Le pire n’est jamais sûr et quand il devient inévitable, il n’est pas toujours ponctuel. Les stratégies d’évitement passent par la lecture, le travail, un certain acharnement à la tâche qui nous rachète - du moins tente-t-on de le croire- aux yeux des autres. L’écriture n’est pas mal non plus, elle vous dispense des hauteurs, de la foule, des transports, des bains de mer et l’on en vient à s’intéresser aux peurs comme éléments d’identité. Tenter d’ethnographier ses peurs, c’est leur rendre grâce, elles viennent souvent de si loin…
(Image Arthur Rackham)
A lire :
l’article de la revue « Terrain » http://terrain.revues.org/1803
Liste des peurs et phobies : http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_phobies