L'oeil bleu et la conjonction Saturne-Jupiter
#ARIF (Alternative Reality Illustrated Fiction) Episode précédent : La chose
Cette chose étrange, je n’ai voulu ni la voir ni l’entendre. En reculant j’ai quitté les lieux, sans un regard pour la caravane dévastée, les livres et les meubles éparpillés ainsi que les nombreuses feuilles volant dans le jardin.
A pas lents, j’ai regagné la maison, vérifiant que je n’étais pas suivie, sursautant à chaque cri d’oiseau. Je me suis enfermée à double tour pour visualiser à nouveau l’écran de mon smartphone. Il y avait bien deux étranges lueurs dans l’ombre de la caravane, ou plus exactement une lueur bleue et un faisceau lumineux. Cette lumière ne venait pas du toit défoncé mais de l’ombre elle-même, de la chose... Elle avait bougé. Par inadvertance j’avais enclenché le mode de prise de vue en rafales et c’était perceptible, la lumière bleue et le rayon s’étaient déviés dans ma direction. Je les avais saisis dans leur mobilité et je revivais la scène en faisant défiler les clichés un à un. Il fallait prévenir quelqu’un, trouver de l’aide. Mais qui appeler ? Et pour dire quoi ? Ça ne ressemblait à rien de connu, ça pouvait aussi bien être une illusion d’optique, peut-être une superposition des clichés ou encore un court-circuit provoqué par la foudre ? Un effet d’éclairage…
J’ai commencé à me persuader que je n’avais rien vu. J’ai effacé la série de photos et le calme est revenu en moi comme s’il ne s’était rien passé. Ce que je ne voyais pas n’avait simplement pas eu lieu. Tout pouvait être comme avant, il suffisait d’ignorer l’événement, de l’effacer de ma mémoire. Question d’entraînement. Une banale journée de décembre, un peu grise et brumeuse mais tout à fait classique pour cette saison dans le Perche. Une journée de confinement ordinaire avec les occupations habituelles : petits travaux de bricolage suivis de quelques courses en fin de journée avant d’allumer le feu.
J’imaginais en haut du jardin, la caravane endormie le long de l’allée, son toît couvert d’aiguilles de pin et ses volets claquant au vent de décembre. Quand la nuit est tombée, je suis montée chercher du petit bois et quelques bûches et j’ai souri en apercevant découpée sur le ciel du soir, la cheminée de ma roulotte. Oui, tout paraissait comme avant, calme, sombre et désert. Me penchant pour remplir mon panier, j’ai remarqué une feuille de papier volant dans ma direction, puis une autre. J’ai allumé ma torche, il s’agissait de pages détachées d’un des livres de la caravane. En éclairant le sol à mes pieds, j’ai commencé à déceler ce que j’avais vu le matin même, les débris de branches avaient été soigneusement rangés le long de l’allée ainsi que les restes de la table et du tabouret. Plus aucun livre ne trainait dehors et les volets arrachés avaient eux-mêmes disparu. Laissant mon panier de bois devant le bûcher, je me suis avancée dans l’ombre jusqu’à la roulotte. Je pouvais distinguer derrière les vitres brisées, les rideaux tirés mais la brèche était toujours là, profonde et sombre comme un gouffre où soufflait le vent de la nuit, déserte et silencieuse. A ce moment-là, la lueur bleue s’est allumée. Un œil bleu dans le noir, immobile et paisible.
J’avais cessé d’avoir peur et je pensais à la conjonction de Jupiter et Saturne, à leur entrée imminente dans le Verseau le jour même du solstice d’hiver. L’œil bleu a cligné lentement, j’ai vu une paupière de métal irisé descendre et remonter plusieurs fois de suite avec la régularité d’un phare dans la nuit et j’ai entendu la voix :
- Ne t’inquiète pas, je vais tout remettre en ordre !
A suivre : Tombé du ciel