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Sybille de Bollardière
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Antidote, poème

5 Novembre 2022, 09:05am

Publié par Sybille de Bollardière

Antidote
« Lumière de l’amour ! Eclaires-tu aussi les morts ? » 1
 
Face aux absents, avoir le dernier mot
Pour donner ce que l’on n’a pas reçu
Ce dont on a été privé et qui n’a pas de nom
Errer et continuer à chercher
L’antidote face à l’impartageable pour un jour, un soir
Qui sait ?
Retrouver l’audace du poème, la grâce d’aimer
Comme on tricote les fils du souvenir
Dans le foisonnement d’un été incandescent
 
Renaître
Ou simplement durer, chaque jour que Dieu fait
Pour la beauté du geste, l’exigence des commencements
Mais la logistique des sentiments
Est déjà à pied d’œuvre
A défaut de « comme » et d’ailleurs
C’est ici, dans les zones blanches des terres inondables
Que je glane quelques signes, des mots
A retrancher du temps qui me reste
 
Extinction des feux, route de nuit,
Dans la procession des collines
Je navigue aux instruments
Ma prière de bitume
Il faudrait un autre mot pour solitude
Un mot dur, râpeux, taillé à la serpe
Ou au contraire abandonné, en friche
Car je croyais les avoir quittés
Mais avec les mois, les années, les saisons
Ce sont eux qui m’ont laissée
 
« Signes des temps meilleurs, brillez-vous dans ma nuit » 2

octobre 2022

1 et 2 - Holderlin, les élégies

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L'année de Lune rousse, poème

1 Novembre 2022, 09:32am

Publié par Sybille de Bollardière

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C'était l'année de Lune rousse, j'avais déjà commencé à l'écrire avant de te connaître mais je me souviens que c'est cette année là que j'avais décidé de le terminer.

Nous relisions ensemble,  et je revois les feuillets blancs sur tes genoux pendant que les plis jaunes de tes Burlington glissaient sur tes jambes imberbes. Les retours en métro nous séparaient à Argentine où les cracheurs de feu et autres briseurs de chaînes te gardaient quelque temps avant que tu ne redeviennes, l'arpenteur du pavé qui fait craquer ses Weston.

En Novembre Paris allonge ses flaques, j'avais bien avancé Lune rousse je crois, j'aimais filer vers Neuilly, Saint Pierre et les grands boulevards mornes qui rejoignent la Seine.

Je traversais cette cour d'immeubles gris-jaune où bêlait Léonard Cohen, je m'allongeais sur ton lit et je te lisais Lune rousse.

C'est à ce moment là, je crois, quand tu fumais tes Stuyvesant en regardant par la fenêtre que j'ai compris que la poésie t'ennuyait.

Au printemps suivant j'étais sur les barricades et tu t'es acheté un pantalon de satin jaune. J'ai cessé d'écrire Lune rousse et je suis partie pour Vevey. Tu n'aimais ni Saint Germain ni la politique, tu es parti pour Katmandou puis pour Goa. C'est plus tard, en revenant de Marrakech dans ta djellaba blanche que tu m'as avoué que tu avais perdu les Ray ban que nous avions achetées ensemble.

A Saint Tropez j'ai renoncé à écrire Lune rousse, c'est à la terrasse de Sénequier que tu m'as a dit que tu aimais les garçons.

Nous avons reparlé des dimanches au Scossa et du dernier des Beatles. Et puis vingt ans ont passé. Une fois seulement, j'ai revu Ben et Larry, c'était au Flore, il y a dix ans je crois... Ils tiraient sur leurs joints comme des malades, de vrais Has been.

Aujourd'hui j'habite au Congo. En rangeant la maison j'ai retrouvé le cahier de Lune rousse et j'ai décidé de recommencer à écrire. J'ai le temps maintenant, mes enfants vont au café le samedi avenue Fulbert Youlou écouter Benny B. Parfois quand j'écris, ma fille entre en courant dans son Levis et me pique une Stuyvesant made in Africa, Mais quand j'essaie de lui lire les poèmes de Lune rousse, elle détale dans son Flight de cuir noir en faisant craquer ses Weston.

A Kenneth Koch 1992 Brazzaville

 

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