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Sybille de Bollardière

Au nord, un pays large comme un doigt...

24 Juin 2014, 09:06am

Publié par Sybille de Bollardiere

Nord-Cotentin 0435

Nord-Cotentin 0441

Voila c’est fini, le ciel est toujours bleu au dessus des lisières comme au premier jour de cette nouvelle lune où tout t’a paru si facile, si doré comme le soleil de juin et l’illusion que le beau temps nous emportait vers le sommet de l’été. Oui Toi, puisque tu t’écris depuis ce jour où tu as pris la route vers le nord pour chercher une issue à l’impossible chagrin. Tu avances dans un pays large comme un doigt couvert de collines de chênes et d’épineux, un pays qui se termine en falaises posées sur le ciel, en vallées creusées dans les landes amères. Une terre idéale pour recycler les eaux usées des peines familières as-tu pensé. C’est là que tu as commencé d’errer dans un paysage qui n’était pas le tien mais qui le deviendra un jour puisque tu empreintes encore une fois ses chemins pour y retourner. Marcher, écrire c’est un peu la même chose, tu souffles à chaque pas, regardes le paysage, la phrase, tu relis, repasses, photographies. Tu n’arrives pas puisque tu n’as nulle part où aller.

Tu revis le passé. Il n’y a pas de livre pour apprendre la honte, la peur. Tu n’as eu besoin d’aucun récit extérieur pour construire ce sentiment d’insécurité et de doute qui a bercé ton enfance, c’est un paysage familier dans lequel tu as grandi sans pouvoir le décrire puis sans oser le faire. Il est temps maintenant t’es-tu dis en regardant le phare et tu as attendu la nuit. L’attente est une belle compagne.

Tu as toujours eu peur de tout, de manquer, de tomber, de mourir aussi mais tu ne meurs pas, tu restes. Tu es la dernière,  tu te dis qu’après c’est ton tour qu’il faut faire attention, qu’un malheur est vite arrivé. Qu’est ce que tu as fait de mal ? Tu ne le sais pas exactement mais les survivants ont toujours quelque chose à se reprocher ? Le temps était doux et tu as décidé de rester au pays des déferlantes. Tu as descendu la rue vers l’ouest, le phare et le raz Blanchard qui brillait dans la lumière du soir et tu as cherché une chambre pour la nuit. 30 euros, la douche et les wc sur le pallier. En t’endormant dans le ressac de la marée, tu t’es dit que tu pisserais dans le lavabo. Dans ton enfance tu étais la seule fille, l’aînée des quatre et tu couchais au fond du couloir, la dernière chambre, la seule qui disposait d’un verrou et d’un minuscule cabinet de toilette. Tu n'avais pas besoin d'en sortir, ça te suffisait pour penser que tu ne manquerais de rien, que tu étais protégée, qu’ils ne viendraient pas jusque là. Tu avais ta poupée bien installée, tes livres, tes rêves, tu dormais avec la lumière et le verrou à l’abri dans ta peur.

Au matin tu roules sur la route des caps vers l’est, une main sur le volant, l’autre caressant l’air, effleurant le paysage, la mer au nord. Ton dernier frère est mort mais tu l’avais enterré depuis longtemps, ça ne fait rien, tu aurais aimé lui dire au revoir mais comment ? Il y a des années noires qui referment tous les passages, il ne reste que le silence, sa voix sur le répondeur. Le ciel est descendu vers toi, gris, doux et humide. Il t’a frôlée, apaisée, perdue aussi. Tu as pensé encore une fois que ça pouvait être ta place là, dans cette plaie de rocher ouverte au nord, ce peu de terre qui se bat avec toutes les tempêtes mais si douce en même temps, verte comme ses pâturages. Tu as aimé ce port, ses barques renversées sous le ciel d’ardoise, l’odeur d’huitre et de marée et les cloches d’un dimanche. La route a continué à t’attirer plus loin jusqu’à l’accident, jusqu’à ce bruit de tôle, ce coup dans la nuque et le rappel à l’ordre. Maintenant il faut rentrer. Au nord, pas d’accès au royaume des morts. Eux non plus ne veulent pas de toi, pas plus que la nuit. Tu ne dors plus, il te reste les matins quand le café épais soulève tes épaules, te redresse. Il fait encore beau, l’illusion continue.


Nord-Cotentin 0460