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Sybille de Bollardière

Ce pays

3 Avril 2011, 10:04am

Publié par Sybille de Bollardiere

Non pas un pays pour y vivre

Ni même pour y mourir

Une simple urne de couleur

Où l’on trempe son corps pour écrire

Un pressoir à douleur

Pour que le fleuve pleure

La sève des forêts

Pour que le poète découvre l’unique pierre

Et s’en frappe humblement le front.

 

Pas de saison si ce n’est

Celle de l’eau ou son absence

La sueur et les pluies, l’oubli

Et des routes abandonnées, inondées

Sans cesse remaniées

Pour que le poète n’ignore rien

De sa destination

Pour qu’il se souvienne

Que l’écriture n’est

Qu’une liquéfaction de plus.

 

Le vacarme des nuits

Sur la chaleur des jours

Les lampes grésillent d’insectes

Quand le soir s’avance

Luisant comme la peur de l’ombre

Pas une aube de silence

A midi le coq chante encore

Quand le poète s’endort

La main collée au papier

 

Feuilles blanches des matins

Quand la saison sèche nourrit la poussière

Sous les cosses noircies des arbres

Acre fumée des feux qui dévore les collines

Dans le tintamarre des dernières noces

La saison du poète africain

Celle des morts aussi

Que l’on porte en blanc vers les villages.

Un tableau perpétuel

Où les couleurs se touchent et se mélangent

Avec un rire qu’aucun peintre ne connaît

Une douceur de pierre usée

D’adoration et de larmes

Comme une église dehors

Qui braderait ses saints à la criée

Pour n’avoir jamais su ni chanter ni danser

Le poète en est réduit

Au blanc primitif de l’aquarelliste.

 

L’amour parfois

Ou plutôt l’idée que l’on s’en fait

Une convoitise élaborée

Comme un poème inachevé

Qui vous retranche de la vie

Ne plus savoir écrire

Ou plutôt, ne l’avoir jamais su

L’Afrique est un état du corps

Pas un état des lieux

  

Blanc, à hanter les rues comme un malade

A traîner sa mauvaise mine

Sa nostalgie de rien

D’un tout qui lui échappe et le ronge

Blanc, comme un chagrin de fin du monde

Avec du bois de coudrier

Pour unique fortune.

 

Ni Joseph le tailleur

Ni Abel le ferronnier

Ne me l’on dit

Ni aucun de ceux d’ici

Mais quand j’allais au fleuve

Laver ma solitude

Au goût de leur savon

Les chiens me l’ont appris

J’ai tourné le dos

Attelé à ma honte

Pour que le poète se souvienne

Qu’ici, contre une faute si ancienne

Le poète est désarmé.

 

Les poèmes du Djoué

Brazzaville 1993