Ce pays
Non pas un pays pour y vivre
Ni même pour y mourir
Une simple urne de couleur
Où l’on trempe son corps pour écrire
Un pressoir à douleur
Pour que le fleuve pleure
La sève des forêts
Pour que le poète découvre l’unique pierre
Et s’en frappe humblement le front.
Pas de saison si ce n’est
Celle de l’eau ou son absence
La sueur et les pluies, l’oubli
Et des routes abandonnées, inondées
Sans cesse remaniées
Pour que le poète n’ignore rien
De sa destination
Pour qu’il se souvienne
Que l’écriture n’est
Qu’une liquéfaction de plus.
Le vacarme des nuits
Sur la chaleur des jours
Les lampes grésillent d’insectes
Quand le soir s’avance
Luisant comme la peur de l’ombre
Pas une aube de silence
A midi le coq chante encore
Quand le poète s’endort
La main collée au papier
Feuilles blanches des matins
Quand la saison sèche nourrit la poussière
Sous les cosses noircies des arbres
Acre fumée des feux qui dévore les collines
Dans le tintamarre des dernières noces
La saison du poète africain
Celle des morts aussi
Que l’on porte en blanc vers les villages.
Un tableau perpétuel
Où les couleurs se touchent et se mélangent
Avec un rire qu’aucun peintre ne connaît
Une douceur de pierre usée
D’adoration et de larmes
Comme une église dehors
Qui braderait ses saints à la criée
Pour n’avoir jamais su ni chanter ni danser
Le poète en est réduit
Au blanc primitif de l’aquarelliste.
L’amour parfois
Ou plutôt l’idée que l’on s’en fait
Une convoitise élaborée
Comme un poème inachevé
Qui vous retranche de la vie
Ne plus savoir écrire
Ou plutôt, ne l’avoir jamais su
L’Afrique est un état du corps
Pas un état des lieux
Blanc, à hanter les rues comme un malade
A traîner sa mauvaise mine
Sa nostalgie de rien
D’un tout qui lui échappe et le ronge
Blanc, comme un chagrin de fin du monde
Avec du bois de coudrier
Pour unique fortune.
Ni Joseph le tailleur
Ni Abel le ferronnier
Ne me l’on dit
Ni aucun de ceux d’ici
Mais quand j’allais au fleuve
Laver ma solitude
Au goût de leur savon
Les chiens me l’ont appris
J’ai tourné le dos
Attelé à ma honte
Pour que le poète se souvienne
Qu’ici, contre une faute si ancienne
Le poète est désarmé.
Les poèmes du Djoué
Brazzaville 1993