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Sybille de Bollardière

Ecrire le jour et lire le soir...

3 Juin 2013, 08:29am

Publié par Sybille de Bollardiere

GustaveRoud-autoportrait-vers1940

...Et dans l'intervalle, marcher, porter son lot de buches, d'espoirs et de doutes, noter sur des bouts de pages ce qui pourrait servir comme ce qu'il faut retenir. Extrait d'un journal "à visage découvert" sur la nouvelle version du blog. 

(Photo : Autoportrait de Gustave Roud)

6 mai 2013 

Plus tard il faudra que je me souvienne de cette fenêtre ouverte sur le soir, des heures mauves accrochées aux arbres quand nous cessions de parler pour écouter la saison à venir. Il faudra que je me souvienne des nuits traversées vers l’ouest quand la forêt s’ouvre d’une seule route pour me conduire là où je sais que l’on m’attend. Oui il faudra que je me souvienne comme je le fais maintenant en buvant la tisane des nuits en pensant aux amis perdus, égarés ou qui ne le sont plus. Tant de choses nous ont séparés les uns des autres ces derniers mois, ces dernières années, peut-être n’avais-je rien vu avant ? Tant de blessures et tant de raisons de comprendre que le sens même des mots n’est plus à partager. Un si long hiver ! Oui, mais qui n’avait rien de si sombre que la haine, la bêtise et l’aveuglement. Je ne m’en remettrai pas. Pas tout à fait, même s’il y a toujours, plus haut que l’amertume, la silhouette crantée des lisières et le souffle du vent quand je roule vers je ne sais quel ailleurs.

L’amitié me trouble et m’émeut plus qu’aucun amour ne l’a fait.

Ici j’aime l’hiver, les pluies, l’isolement et la neige autant que l’été et toutes les routes qui m’y ramènent. Ici j’aime en paix, à l’abri oui, mais le temps perdu, lui ne reviendra pas.

 

Jeudi 9 mai 2013

 « Tous les romans sont des variantes de l’existence » écrit Camille Laurens… Des couloirs que l’on n’a pas empruntés. J’écris pour en finir avec la vie et n’être plus que son miroir, son souvenir. Pour l’installer sur une page et me faire à l’idée de ce qui a eu lieu. Ecrire pour un visage, un mot, un instant. La plupart des événements que j’ai vécu et qui m’ont considérablement marquée est indicible, non représentable mais en écrivant j’ai le dernier mot. J’ai tué ce que je désirais tuer et le souvenir de ceux que j’ai aimé contient plus d’amour que tous les instants où j’ai réellement aimé.

A propos du « Tableau » la nouvelle que je viens de terminer pour le Prix Rive Gauche à Paris. C’est un vrai-faux souvenir. Ce qui est réel en écriture comme en peinture c’est la superposition des couches, des événements, qui donnent la vraie couleur. Elle ne restitue pas un instant donné mais la résurgence de cet instant dans l’émotion du souvenir. Dans "Le Tableau", rien ne sera jamais plus vrai que Kenneth redessinant le corps d’Elvire.


Lundi 3 juin 2013

"la vraie vie" de ce printemps restera pour moi dans quelques livres : "Ecoute la pluie" de Michèle Lesbre,  "Le bleu de la nuit" de Joan Didion, "Chronique d'hiver" de Paul Auster, "Encore et Jamais" de Camille Laurens, "Voyage au centre de Paris" d'Alexandre Lacroix. Lus à Paris, dans le Perche ou au Maroc, gonflés de sable, de pages cornées ou de notes. Ils sont aujourd'hui rangés à la verticale dans la bibliothèque - installés pour rester - je sais que je ne les ouvrirai plus sans ressentir toute l'odeur de ce printemps 2013, sans revoir ses couleurs de vert jaune saturé d'eau mais aussi le bleu d'Essaouira, les murs rouges du Riad. Maintenant je retourne au roman, laborieusement, Ô combien, mais cela fait partie du chemin. Je ne lirai plus que le soir.