Laisser verdure de François Montmaneix
Sans retour
I
Un feu là-haut sur la colline
projette d'ombre un chêne gigantesque
ses branches sont les aiguilles des heures
d’où calmement descend la nuit
sur l’ancienne ferme à l’abandon
Du puits montent des ronces des orties
la porte n’est plus qu’un rictus
près des restes d’un banc de pierre
auquel manquent ses murmures
je me tais de toutes mes forces
Depuis combien d’années la solitude
est-elle ici chez elle ?
II
J’essaie de me parler d’avant
d’un temps de bœufs rentrant couverts de brume
de cris d’enfants d’abois
dans les pattes des bêtes besogneuses
de la chaleur du vin du sucre des pommes
Je suis seul et la terre est obscure
je contemple le ciel plein d’étoiles
une feuille morte s’en détache
je relève le col de ma veste
en m’éloignant étrangement
Est-ce du même pas
que jadis le fermier
sans ses clés sans se retourner ?
François Montmaneix, Laisser Verdure,
Le Castor astral, 2012
Préface d’Yves Bonnefoy
« Sous l'éclairage de ce que Maurice Denis disait d'un tableau, on pourra se rappeler qu'un poème, avant d'être un instant donné, l'éclair d'une rencontre, une rêverie en marche, un monde habité, est essentiellement un espace plan recouvert de mots en un certain ordre assemblés. Ce sont les désordres de cet ordre-là que l'auteur est allé interroger. De leurs innombrables et incessantes réponses - l'une prenant aussitôt la place de l'autre -, il a tenté de réunir les voies et de rassembler les voix : celles-là en une continuelle croisée des chemins à venir, celles-ci en un choral où le contrepoint tient lieu de charpente à un édifice dont les ouvertures sont issues du mouvement profond qui voudrait les élever vers ce qui leur est un ciel étoilé : le visage du lecteur, ce frère en inquiétude et en solitude, lui aussi à la recherche de son semblable. Puisse-t-il le rencontrer ici, dans ces quelques mots en un certain ordre assemblés, cet être au monde à qui confier le moment où le présent prend son essor et où la vie est alors partageable, tel le lied entre le chanteur et le pianiste qui parcourent ensemble l'espace d'une forme sans laquelle ils ne viendraient pas au monde ainsi qu'il vient à eux. » François Montmaneix « Laisser verdure ? En tout ce qui est reconnaître bruissement léger, frémissement, transparence comme d'un feuillage dans la lumière, et faire de ce constat - non, de cette instauration - ce qu'on peut confier à des mots : voilà bien ce que ce poète avait en esprit quand il a entrepris et mené à bien son livre. Et il n'est pas d'ambition plus haute ; ni de plus utile réponse au besoin de l'heure présente. »
Yves Bonnefoy