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Sybille de Bollardière

Louise Labé, un coeur en hiver

14 Janvier 2014, 09:43am

Publié par Sybille de Bollardiere

Parce qu’une fois encore le temps ne me paraissait pas plus important que ça, j’ai répondu à  Emmanuelle « oui bien sur, Louise Labé quelle bonne idée ! » Mais voila qu’en cherchant quelques lignes, quelques vers de la belle lyonnaise je me suis perdue en la lisant, plongée comme je l’étais non seulement dans son passé mais dans le mien. Un livre appartient toujours à l’époque où on l'a ouvert la première fois, celui-là me liait à celui qui me l’avait dédicacé. Relire Louise avec le cœur d’hier n’était pas sans péril et voila pourquoi j’ai tant tardé. Mes mots en charpie d’aujourd’hui ne seront jamais dire la clarté du ciel de ce matin quand le froid attise la beauté d’un amour d’hiver alors, je la laisse dire… S de B


louiseLabe200Louise LABÉ

1524-1566

 

Je fuis la ville, et temples, et tous lieux

Esquels, prenant plaisir à t'ouir plaindre,

Tu pus, et non sans force, me contraindre

De te donner ce qu'estimais le mieux.


Masques, tournois et jeux me sont ennuyeux,

Et rien sans toi de beau ne puis me peindre ;

Tant que, tâchant à ce désir éteindre,

Et un nouvel objet faire à mes yeux,


Et des pensers amoureux me distraire,

Des bois épais suis le plus solitaire.

Mais j'aperçois, ayant erré maint tour,


Que si je veux de toi être délivre,

Il me convient hors de moi-même vivre ;

Ou fais encor que loin sois en séjour.

 

 *     *     *

 

Je vis, je meurs : je me brûle et me noie.

J’ai chaud extrême en endurant froidure :

La vie m’est et trop molle et trop dure.

J’ai grands ennuis entremêlés de joie :

 

Tout à un coup je ris et je larmoie,

Et en plaisir maint grief tourment j’endure :

Mon bien s’en va, et à jamais il dure :

Tout en un coup je sèche et je verdoie.

 

Ainsi Amour inconstamment me mène :

Et, quand je pense avoir plus de douleur,

Sans y penser je me trouve hors de peine.

 

Puis, quand je crois ma joie être certaine,

Et être au haut de mon désiré heur,

Il me remet en mon premier malheur.

 

*    *     *

 

Tant que mes yeux

 

Tant que mes yeux pourront larmes épandre

À l’heur passé avec toi regretter :

Et qu’aux sanglots et soupirs résister

Pourra ma voix, et un peu faire entendre :

 

Tant que ma main pourra les cordes tendres

Du mignard Luth, pour tes grâces chanter :

Tant que l’esprit se voudra contenter

De ne vouloir rien fors que toi comprendre :

 

Je ne souhaite encore point mourir.

Mais quand mes yeux je sentirai tarir,

Ma voix cassée, et ma main impuissante,

 

Et mon esprit en ce mortel séjour

Ne pouvant plus montrer signe d’amante :

Prierai la mort noircir mon plus clair jour.