Poésie, Silvia Baron Supervielle
Le matin, lorsque je me lève, j’ai la sensation d’avoir été mise sur la terre pour travailler. A quoi ? Je me sers des mots sur la feuille patiente comme le marteau sur le fer et la pioche sur la terre. Je me sers du silence pour filer. Il est probable que durant la nuit, comme Pénélope, je défasse mon ouvrage afin de le recommencer à l’aube : « C’est ainsi que ses jours passaient à tisser l’ample voile/et ses nuits à défaire cet ouvrage sous les torches »1
Travail de vivre, travail de mourir. L’excuse de ce travail est de le poursuivre aveuglément. Je suis venue au monde pour m’acquitter de cette tâche : poursuivre un travail, le mien, certes, et celui des autres. C’est elle, toi, nous penchés sur une immense toile que les vents de la nuit défont. Nous reprenons le tissage à l’aube. Nous tirons sur des fils où brillent les reflets de l’Atlantique. Les vents de la mer entrouvrent ses portes et, sans bouger, nous avons l’illusion de retrouver la liberté.
Silvia Baron Supervielle,
Le Pays de l’écriture, le Seuil, 2002
1Homère Odyssée, chant II, traduction de Philippe Jaccottet
http://fr.wikipedia.org/wiki/Silvia_Baron_Supervielle
http://poezibao.typepad.com/poezibao/2005/05/silvia_baron_su.html
Une reconstitution passionnelle : correspondance 1980-1987
Marguerite Yourcenar, Silvia Baron Supervielle
Paru le 15 octobre 2009
Editeur Gallimard