L'Orange de Mars 11 - Terra incognita
Comment nommer ce sentiment qui vous incline à accueillir celui que justement, vous n'auriez voulu pour rien au monde, et qui, non content de cela, vous installe en sa présence entre le malaise et une douce habitude. Même aujourd'hui en relisant les lettres de Savannah je ne le sais pas... 'Terra incognita'.
De Savannah à Malcom
Objet: les silences
Date: dimanche 23 mars 2003 02:04
Il est un peu tard pour vous écrire mais je veux vous remercier pour ce long moment passé avec vous, la ville sous toutes les coutures, les bars et les cafés, vos craven et vos silences songeurs.
Bonne nuit, je vous écrirai demain.
Savannah.
De Malcom à Savannah
Objet: les maux des mots.
Date: dimanche 23 mars 2003 20:06
Savannah,
Il faut au-delà du style bien des disciplines élaborées, des temps de repos. Les mots ne se donnent aisément qu'en certains états. J'étais emprunté et de peu de ressources. Paris est tout petit et je n'étais pas assez grand.
Tôt ce matin j'ai pris « mon pied la route ». Direction Jardins de Bagatelle. Fortes odeurs florales, belles plages verticales et fleuries des Prunus. Des nabis en retraite, fantomatiques, erraient alentour. Votre message m'arrive à l'instant. Je ne suis pas de cette technologie. Vous le savez désormais, je silence en compagnie et parle du bout des doigts. Je sais combien je peux être généreux et délicat dans ces gymnastiques
Je vous embrasse.
Malcom.
De Savannah à Malcom
Objet: Re: les maux des mots
Date: lundi 24 mars 2003 09:04
Pas un pas, pas une ligne, je n'ai su dans la journée d'hier, que tracer des sillons dans la terre. Mes silences sont laboureurs, ma peine hospitalière. Aujourd'hui je n'ai d'autres mots que ceux d'un autre :
« Ecrire, maintenant, uniquement pour faire savoir qu'un jour j'ai cessé d'exister ; que tout, au-dessus et autour de moi, est devenu bleu, immense étendue vide pour l'envol de l'aigle dont les ailes puissantes, en battant, répètent à l'infini les gestes de l'adieu au monde. Oui, uniquement pour confirmer que j'ai cessé d'exister le jour où l'oiseau rapace a occupé seul l'espace de ma vie et du livre, pour régner en maître et dévorer ce qui, une fois encore, cherchait, en moi, à naître et que je tentais d'exprimer...
Inutile est le livre quand le mot est sans espérance. »
Edmond Jabès, le livre de l'hospitalité.
Si vous n'avez pas déjà ce livre, je vous l'offrirais bien.
Je vous embrasse.
Savannah
De Savannah à Malcom
Objet: les états.
Date: lundi 24 mars 2003 17:11
Peut-être ai-je trop injustement parlé des pies. Hier deux d'entre-elles sont venues faire du tapage et déranger mon vague à l'âme. J'ai cherché le message dans le ciel insolent mais rien que le grand vide bleu. Ce n'est qu'hier soir, en parcourant le livre sur Char que vous m'avez offert que j'ai eu la réponse. Les livres dans tous leurs états ont le dernier mot.
Ne critiquez pas Paris ni cette belle journée qui nous fît simplement regretter d'être ce que nous sommes, simples humains ceinturés de leurs mortelles faiblesses. Les miennes me tiennent lieu de discours, les vôtres, plus sages, cultivent le secret. Mon repentir penché sur le jardin m'offrira peut-être d'ici quelques semaines, de belles soirées d'été 'dans un cadre fleuri' comme disent les brochures.
Je viens de commander le livre d'Edmond Jabès par internet (encore une merveille technologique !) et maintenant j'aimerais lire tous les autres. Pas du tout envie de travailler dans cette chaleur incongrue de mars, je devrais prendre la route, m'enfuir pour la campagne sous l'escorte des buses et autres faucons qui veillent sur mes chemins. Il me faut attendre vendredi.
Sur mon bureau trop bien rangé aujourd'hui, j'ai mon journal sous les yeux qui m'écarte du monde, feuilletant les pages je retrouve la lumière des cimes alpines, la proximité des étoiles qui me fît écrire "La montagne vire au gris, glacée, indifférente. J'entends déjà les chemins bleuis de gel crisser sous les pas... Froid, chaud, sommeil, faim... Je revis, j'apaise mes soifs, c'est bon de vivre!"
A bientôt, je vous embrasse
Savannah
A suivre