L'Orange de Mars 16 - Intime lenteur
Savannah tenait sa comptabilité sentimentale avec la plus grande rigueur. Chaque matin au réveil elle recopiait ses mails avant de filer vers son bureau où l’attendait la seule affaire vraiment sérieuse de sa vie : sa carrière. C’est moi qui ai choisi le titre l’Orange de mars pour l’ensemble de sa correspondance avec Malcom. Savannah quant à elle, s’était contentée de les regrouper sous le nom provisoire de « Conversation de mars » et puis, contre toute attente, « l’affaire » dura... En tout cas suffisamment pour qu’elle me gratifie de quelques confidences. Je faisais partie des rares intimes auxquelles elle avouait ce qu’elle considérait comme une disgrâce pour une jolie femme : chercher l’homme de sa vie sur le net. Lorsque nous nous rencontrions professionnellement- ce qui était le cas régulièrement à l’époque, elle ne manquait pas de me faire un signe à la fin de nos rendez-vous en ajoutant :
- Il faut que je te voie pour l’affaire Malcom
Inévitablement je répondais :
- Au fait, tu en es où ?
Et c’est peut-être cette question que lui posaient les intimes d’alors qui mit Savannah sur la voix d’une stricte comptabilité amoureuse. « En être à un point donné acceptable » voila ce qui était important. En d’autres termes, quand nous nous retrouvions au café des Tuileries pour parler de « l’affaire Malcom », nous en venions directement au sujet que les mails, qu’ils soient de Malcom ou de Savannah, n’abordaient jamais : le sexe
Pour éclairer quelques lecteurs, je relate ici une de nos conversations telles que je me la rappelle
Moi : Il te plait au moins ?
Savannah : On ne peut pas vraiment dire cela, il est grand, intelligent, cultivé… mais…
Moi : Ecoute je me doute qu’il y a un problème… Depuis le temps que vous vous écrivez vous ne me paraissez pas très avancés côté sexe !.
Savannah : On essaie...
Moi : Pardon ! Qu’est ce que tu veux dire par là ?.
Savannah : Ecoute, ce n’est pas vraiment mon genre d’homme c’est vrai et puis il est beaucoup plus jeune que moi, mais c’est un type intéressant et je sens que nous avons beaucoup à partager…
Moi : Oui, beaucoup sauf le sexe… Savannah, tu ne crois pas que cela va te manquer après ce que tu as vécu avec P*** pendant cinq ans ?
Savannah : Ca n’a rien à voir ! Avec P*** c’était fusionnel, une relation passionnelle et totalement addictive ce dont justement je ne veux plus… J’ai évolué tu sais ! D’ailleurs, j’ai tout raconté à Malcom, il sait bien qu’il me faudra du temps, il est patient
Elle avait ajouté en se tournant vers moi : « C’est un type bien, un peu fleur bleue c’est vrai … Je vais t’avouer quelque chose : Il voudrait adopter un enfant… »
Savannah venait d’avoir 48 ans et ne s’était pas montrée particulièrement maternelle avec ses deux enfants qui avaient respectivement 25 et 27 ans quant à Malcom, à plus de 35 ans, il vivait encore chez sa mère. Mais en fin de compte, j’étais persuadée que Savannah pouvait réussir son couple idéal « à la force du poignet » tout comme elle menait sa carrière, « en ne lâchant rien »
Non, ce qui m’inquiétait, c’était son impatience … Comment allait-elle résister à l’intime lenteur de Malcom, à ses silences, ses zones d’ombre ? Et pourtant en relisant leurs échanges de lettres de ce début avril (oui, c’est un petit retour en arrière) je constate qu’à ce moment là, Malcom s’était mis en peine de se décrire et de s’amender…