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Sybille de Bollardière

L'Orange de Mars 16 - Intime lenteur

, 08:41am


 

Savannah tenait sa comptabilité sentimentale avec la plus grande rigueur. Chaque matin au réveil elle recopiait ses mails avant de filer vers son bureau où l’attendait la seule affaire vraiment sérieuse de sa vie : sa carrière. C’est moi qui ai choisi le titre l’Orange de mars pour l’ensemble de sa correspondance avec Malcom. Savannah quant à elle, s’était contentée de les regrouper sous le nom provisoire de « Conversation de mars » et puis, contre toute attente, « l’affaire » dura... En tout cas suffisamment pour qu’elle me gratifie de quelques confidences.  Je faisais partie des rares intimes auxquelles elle avouait ce qu’elle considérait comme une disgrâce pour une jolie femme : chercher l’homme de sa vie sur le net. Lorsque nous nous rencontrions professionnellement- ce qui était le cas régulièrement à l’époque, elle ne manquait pas de me faire un signe à la fin de nos rendez-vous en ajoutant :

-          Il faut que je te voie pour l’affaire Malcom

Inévitablement je répondais :

-          Au fait, tu en es où ?

 

Et c’est peut-être cette question que lui posaient les intimes d’alors qui mit Savannah sur la voix d’une stricte comptabilité amoureuse. « En être à un point donné acceptable » voila ce qui était important. En d’autres termes, quand nous nous retrouvions au café des Tuileries pour parler de « l’affaire Malcom », nous en venions directement au sujet que les mails, qu’ils soient de Malcom ou de Savannah, n’abordaient jamais : le sexe

 

Pour éclairer quelques lecteurs, je relate ici une de nos conversations telles que je me la rappelle

Moi : Il te plait au moins ?

Savannah : On ne peut pas vraiment dire cela, il est grand, intelligent, cultivé… mais…

Moi : Ecoute je me doute qu’il y a un problème… Depuis le temps que vous vous écrivez vous ne me paraissez pas très avancés côté sexe !.

Savannah : On essaie...

Moi : Pardon ! Qu’est ce que tu veux dire par là ?.

Savannah : Ecoute, ce n’est pas vraiment mon genre d’homme c’est vrai et puis il est beaucoup plus jeune que moi, mais c’est un type intéressant et je sens que nous avons beaucoup à partager…

Moi : Oui, beaucoup sauf le sexe… Savannah, tu ne crois pas que cela va te manquer après ce que tu as vécu avec P*** pendant cinq ans ?

Savannah : Ca n’a rien à voir ! Avec P*** c’était fusionnel, une relation passionnelle et totalement addictive ce dont justement  je ne veux plus… J’ai évolué tu sais ! D’ailleurs, j’ai tout raconté à Malcom, il sait bien qu’il me faudra du temps, il est patient

 

Elle avait ajouté en se tournant vers moi : « C’est un type bien, un peu fleur bleue c’est vrai … Je vais t’avouer quelque chose : Il voudrait adopter un enfant… »

 

Savannah venait d’avoir 48 ans et ne s’était pas montrée particulièrement maternelle avec ses deux enfants qui avaient respectivement 25 et 27 ans quant à Malcom, à plus de 35 ans, il vivait encore chez sa mère. Mais en fin de compte, j’étais persuadée que Savannah pouvait réussir son couple idéal « à la force du poignet » tout comme elle menait sa carrière,  « en ne lâchant rien »

 

Non, ce qui m’inquiétait, c’était son impatience … Comment allait-elle résister à l’intime lenteur de Malcom, à ses silences, ses zones d’ombre ? Et pourtant en relisant leurs échanges de lettres de ce début avril (oui, c’est un petit retour en arrière) je constate qu’à ce moment là,  Malcom s’était mis en peine de se décrire et de s’amender…

 

De: 'Malcom.' ..

À: 'Savannah.' <.Savannah@hotmail.com>

Objet: intime lenteur

Date: vendredi 4 avril 2003 20:14

 

Savannah,

Je devine ma lenteur plus que je ne la ressens. Ne m'en tenez pas trop rigueur. Vous me parliez, hier, de suffisance. Je vous parlerai plutôt de mon orgueil. Je suis orgueilleux je vous le concède. De la fatuité ? Non de l'insolence, peut-être. Présomptueux ? Allez savoir, je dirai plutôt audacieux, un vrai cadet de Gascogne vous dis-je. Satisfait ? Non. Vaniteux ? Je ne saurai me résoudre à trop de mensonges. Mais alors quoi ? Nous verrons à l'usage, faites-moi un peu crédit.

 

Je vous remercie d'avoir lu les lignes précédentes sans avoir ri (ai-je tort ?). Le petit homme que je suis ne pouvait pas se passer de ce moment miroitant, ou plutôt de ce caprice, parler un peu de soi. Sans trop de concessions.

 

J'étais heureux d'être à vos côtés hier soir, déambulant sous les arcades du Palais Royal. Je vous dois cela, cette délicieuse sensation de la présence intime.

 

Je vous embrasse

 

Malcom

 

 

De: 'Savannah.' <.Savannah@hotmail.com

À: 'Malcom.'

Objet: Re: intime lenteur

Date: vendredi 4 avril 2003 21:23....

 

Malcom,

Pardonnez-moi de reprendre votre 'objet' intime lenteur, cette fois-ci, intentionnellement. Mais oui, je suis lente aussi, mais chez moi, cela ne se voit pas. La lenteur le matin, mon goût pour les embouteillages et l'attente d'une manière générale. Je suis souvent en avance pour attendre, planter le décor et y rêver un peu. J'aime les trains lents parce qu'ils me laissent voir le paysage. Je viens d'avoir une image : je suis lente comme les chats, au fond je prépare mes accélérations dans la lenteur

 

Orgueilleux vous ? Oui tout à fait ! En fait c'est un défaut qui est sans dommage s'il n'est pas allié à la bêtise, un défaut qui me laisse un peu indifférente parce que je ne crois pas l'avoir, le danger ? Je peux blesser un orgueilleux sans le vouloir, en fait je suis inconséquente vis à vis des orgueilleux (n'hésitez pas à vous plaindre le cas échéant !) Ne vous excusez jamais de parler de vous, vous êtes pardonné d'avance, il me semble que c'est un sujet qui m'intéresse.

 

Le Palais Royal est un endroit que je découvre avec vous, c'est 'l'anti-jardin' par excellence, à la française, ce qui pour moi, en matière de jardin est une erreur (plantes torturées, bridées, alignées, uniformes de saison. Celui qui a dessiné de tels jardins avait du faire Saint Cyr…) Relativement fermée à l'architecture, sauf pour les ruines. Quand il y a la trace de l'homme, j'aime voir le combat que lui font la nature et les ans).

Et pourtant je vais aimer cet endroit à cause de nos pas résonnant sous les arcades cherchant cet accord que nos bras avaient trouvé. Je vais aimer cet endroit parce que nous y aurons nos habitudes. C'est déjà un souvenir.

Je vous embrasse

 

De: 'Malcom.'

À: 'Savannah.' <.Savannah@hotmail.com

Objet: (s) trouvé(s)....

Date: samedi 5 avril 2003 11:43

 

Savannah,

 

Ce jardin du Palais Royal m'est précieux par son « silence », il n'est pas Paris, mais une idée de Paris, un possible apaisement dans l'ordinaire urbain si violent, dénué de toute urbanité.

 

La bêtise ? J'en prends ma part et ne m'en plaindrai pas, ni de vous d'ailleurs.

 

« La trace de l'homme » voilà qui me plaît, elle est, pour nous européens, lisible en tous points. Peu d'endroits en sont vierges. Quand je vais sur les Causses, ayant auparavant lu les cartes, je suis surpris par l'exactitude des lieux. Tout est là, justement mesuré, nommé, répertorié. Et cependant je découvre des lieux, des paysages, mais je ne les invente pas. Je m'en imprègne et les restitue de temps à autres par fidélité et désir. J'aime être fidèle aux paysages, aux lieux. Nostalgique ? Oui. Et cependant, les saisons apportent les variations qui rendent ce sentiment léger, une possible re-découverte se trame, l'espoir est dans les saisons, il faut donc vivre avec son temps, en son rythme.

 

Nos pas à venir, Savannah, seront de verdure ou de sable, de pavé ou de bitume, ils auront la sagesse de nous porter en quelque endroit de notre intimité.

 

Je vous embrasse

 

de'Savannah..

À: 'Malcom.' .

Objet: Ciel astral et névralgie....

Date: lundi 7 avril 2003 22:27....

 

Voila, j'ai travaillé sur votre 'cas astrologique' bien sûr je n'en sais pas plus sur vous,  sur toi (je m’essaie au tutoiement) et encore moins sur l’avenir, je suis une piètre astrologue mais 'il y a de l'idée». Nous en tirerons les conclusions ensemble si vous le voulez bien. J'apporterai également de quoi rire de mon labeur ce qui me parait indispensable.

 

 Je vous embrasse et je t’appellerai dans l'après-midi

Savannah.

 

De: 'Malcom.'

À: 'Savannah.' <.Savannah@hotmail.com>

Objet: incertitudes

Date: Mardi 8 avril 2003 15:04

 

Savannah,

 

Prenons le temps et ces incertitudes. Faire la paix en soi et aimer tous les instants offerts. Au ras des mots et des regards, à la saignée d'un bras, avec bonheur. S'il faut tourner la page, c'est en lisant que s'ouvre les possibles. Avec ce 'vous' nous sommes bien plus, avec ce 'tu' nous avons l'audace des cimes. Nous allons vers les beaux jours, ne soyons pas démuni. Dormir est un commencement. Cet impératif temporel ne saurait être reporté.

 

Je t'embrasse et vous embrasse

 

Malcom

 

L’amour quittait le voussoiement avec quelques hoquets qui signaient là, une tentative de nuit d’amour  quelque peu décevante mais aussi la crainte de perdre le meilleur, l’Ami (e)  incomparable, celui  (celle) qui vous laisse tout entrevoir sans rien démentir du passé...