La nuit s’est refermée sur la chambre où je relis les mails de Malcom et
Savannah. Il me semble parfois que l’Orange de Mars envahit ma propre vie. Ce ne sont plus leurs mots, mais les miens que je reporte ici ou parfois même à mon insu sur une lettre ou un mail. Cet
amour imparfait a pris sa place dans ma langue et je me surprends à visiter ses lieux à rechercher ses objets comme ce cœur de porcelaine bleu que Savannah portait en pendentif pour annoncer
qu’elle aimait
De: 'Malcom.' À: 'Savannah.'
Objet: ainsi il s'offre
Date: lundi 28 avril 2003 21:13
Savannah,
Le nomade si lent, si précis, par nécessité. Survivre. De la précision naît la connaissance qui de génération en
génération apportera la divination. L'économie du nomade pour mieux offrir et partager, alors l'opulence prend le pas des apparences. Les sens guettent à la périphérie. D'autres générations
sauront en trouver l'usage. Il faut nommer l'arbre, l'eau, l'oiseau, ainsi ils s'offrent.
Savannah, prend le temps de ne pas t'approprier l'imparfait. Dans le « petit », dans l' « étriqué » soufflent de grands
vents qui tourmentent bien des vies. Il y a des apostrophes qui lancèrent loin les vies, je me suis laissé dire qu'en certains endroits l'écho en est encore espéré.
De bas en haut retournant sur les pas soupçonnés, dévalant les hauts et foulant les bas, les têtes se vident, les bras
moulinent, les jambes en compas les regards se perdent. L'horizon est cul pardessus tête.
Mais qu'as-tu fait de ton coeur bleu, Savannah ?
Je t'embrasse
Malcom
Post-scriptum (cette histoire qui n'en finit pas) : Bientôt les lézards seront de toutes les verticalités, de toutes les
minéralités. Lézarder avec toi.
De: 'Savannah.' À: 'Malcom.'
Objet: Raisonnablement je choisis le présent .
Date: lundi 28 avril 2003 22:38
Malcom,
Tempête à C*** avec au loin le bruit d'un avion qui décolle ou bien va se poser. Dans une autre vie j'ai guetté les
avions qui allaient et venaient dans le ciel de ma maison. Je les suivais des yeux m'imaginant à Hambourg, Tokyo ou sur les rives de l’Amazone je m'imaginais une vie 'ailleurs». Mais on ne va
jamais nulle part, Manaus, le Brésil comme n'importe quel pays est la banlieue de nos rêves. On rêve sous un manguier comme on a rêvé sous un tilleul, simplement on cherche ses mots, des mots
nouveaux pour décrire ce que l'on a toujours ressenti.
L'exil est une illusion qui dure jusque dans les bras de ceux que l'on aime ou que l'on aurait voulu aimer. Funeste
miroir où l'on n'aperçoit que cette ombre qui sans cesse nous fuit et sans cesse nous poursuit.
Le poème perdu est ce geste à jamais esquissé vers un au-dedans blessé. L'idéal serait, dans cette quête insensée, de ne
jamais fuir et de ne jamais blesser
Comme des gladiateurs funestes qui croient à leur victoire, on se cherche en amour des adversaires à la mesure des
blessures infligées.
Les enfants et le soin de l'ordinaire m'ont longtemps dispensée de ces combats meurtriers. Il ya la note de gaz, les
chaussures à cirer et ces nouveaux canapés qui feront si bien dans le salon. Ta mère a appelé. Il te ressemble, regardes comme il est mignon. Au fait où as-tu mis les clefs ?....
Il y a belle lurette qu'il les a perdu les clefs, d'ailleurs, insouciant il se lave les doigts de pieds, elle, tout de
blanche vêtue dans le petit matin s'avance dans la salle de bain. Elle voit son dos rutilant sous la douche ; lui sifflote en écoutant Europe 1, c'est un matin ordinaire et pas un instant il ne
se doute que sa peau ne tient qu'à un fil et que l'assassin est devant le miroir embué, armé jusqu'aux dents.
La Bérézina.., l'incendie de Moscou. Sauf que c'est parfois le printemps ou l'été et que le héros marche à pieds dans la
campagne. On lui fera bien l'amour encore une ou deux fois en pensant ni contre ni pour lui, pour le plaisir tout simplement, comme on prend un encas pour les jours de famine. Qui a dit que la
liberté était facile ?
Il y a, c'était la règle du jeu au départ, le Malcom de l'écriture, l'Ami, celui avec qui on se livre en grande franchise
et pour ainsi dire, en toute fraternité et puis il y a la voix, ce trouble qui vous prend dans les blancs ou les silences, cette voix qui vous renvoie à un corps, une enveloppe, une humanité qui
se rapproche et vous frôle dans ses intonations.
Sur les trottoirs de la grande ville comme dans une salle d'attente vient la silhouette d'un autre, sa présence, ne
serait ce que quelques instants, est autre, la nôtre aussi. L'espace est devenu tapageur, trop grand, plein d'iniquité et manque d'intimité. Au coin d'une table la voix reprend le dessus et puis
l'on retrouve les mots et l'on sourit. Dans une main il y a la voix, la même texture, on compte les acquis et dénombre ses fortunes.
Dans nos conversations au téléphone il y a les blancs de l'inquiétude, un soupir parfois qui signe la fatigue et
l'épreuve, car c'est éprouvant de se chercher.
Ni l'imparfait ni le futur, immensément loin en ce qui me concerne quand tout est bouleversement. Raisonnablement je
choisis le présent et 'puis l'arbre, l'eau et l'oiseau' d'ici ou d'ailleurs pour le bonheur de vivre (mais oui tout n'est pas perdu !) et toi en sentinelle des cartes pour veiller sur le
parcours.
Très bonne nuit à toi Malcom, je t'embrasse.
Savannah
De: 'Malcom.'
À: 'Savannah.' <.Savannah@hotmail.com>....
Objet: lumières possibles.
Date: mardi 29 avril 2003 22:20
Savannah,
Mais le bouleversement n'est-il pas futur ? Dès lors que tu participes de ce grand chambardement, la multiplicité des
situations, leur superposition et leur immixtion dans ta vie deviennent les champs des possibles réalités. La démultiplication, cette distorsion intime, transforme le quotidien si habilement.
Plus précisément, les strates du passé se fondant dans le désordre des sentiments, les repères s'en trouvent moins lisibles. Mais où sont les écueils ? Certaines aventures échouent, d'autres
prennent des allures de dérive, d'autres encore aboutissent et c'est tout autrement qu'apparaît le récit.
Les récits, les carnets, les lettres et aujourd'hui les messages numériques sont à l'aune de nos perceptions. Il faut
être généreux pour en accepter les silences.
Les rencontres où se croisent et se décroisent les regards et les respirations nous offrent les attitudes, les poses, les
maladresses. Les moments partagés, les moments distants, les moments qui finissent en un instant. Tout cela est affaire de tempérament. Et s'il est vrai que la fatigue des moments perdus nous
tourne vers l'oubli ou le ressentiment, j'avoue qu'elle est aussi l'expression d'un bien-être. Je me sens bien et j'ose m'afficher dans ma fatigue, sans atours, lointain peut-être mais
disponible. L'agacement peut affleurer pour ces mots qui ne viennent pas, pour ce brouhaha qui ternit les paroles en partage.
Pour la liberté, combien de fois il faudra s'effacer, expier, lever le poing et simultanément sourire et pleurer. Libre
de n'en rien faire par orgueil mais ne pas renoncer à s'opposer à soi-même.
Quant aux moments inquiétants de tes sentiments j'aimerai te lire ou t'écouter à ce sujet. Le langage s'égare en
invocations multiples. Eclaire-moi. Et si je suis trop profane, ne sois pas trop exigeante. Parle-moi. Mais qu'ai-je fait de cette clef ? Et je souris.
Je t'embrasse
Malcom
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