L'Orange de Mars - 7 - En d'autres temps ils avaient du se manquer
En ce dimanche de mars, tout laisse croire que Malcom et Savannah vont « vraiment s'aimer ». Malcom évente d'une tirade de mots - comme il sait si bien le faire, une sensualité qui lui donne plus de vapeurs que d'élan. Quant à Savannah, déjà elle l'invite en sa mémoire et remonte pour lui le temps d'une rencontre symbolique et même prophétique de leurs deux pseudonymes...
De Malcom à Savannah
Objet: big brother is watching you
Date: dimanche 16 mars 2003 20:05
Savannah,
Où est cet oeil qui me poursuit et vise juste ? Quelle acuité ! Donc les batteries ont péri dans l'instant et je prends le clavier, linotypiste amateur mais éclairé.
Je suis un sensuel, la langueur, qui n'est pas torpeur, exacerbe les passions. Les peurs aussi, Savannah. Mes peurs sont multiples et peuplent mon quotidien, mais je sais prendre la distance. Au diable l'auto-analyse et revenons à plus essentiel. Once upon a time. Et depuis 48 heures les pies s'activent, l'air bruisse curieusement de leur soie. Que d'huissiers dans les airs précédents sur les ondes nos échanges. Je me suis résolu à trouver un air protocolaire à ces oiseaux, leur apparition vaut donc commandement et je me réjouis d'y répondre. Vous avez raison, nous sommes dans le jeu. Il nous faudra peut-être sortir de cette pièce et prendre l'amble. Situation cavalière mais nécessaire. A ce propos Savannah les joueurs de polo m'évoquent plus Kessel et Les cavaliers. Kessel aurait pu être dans mon portrait chinois. Churchill aussi. Pessoa et ses hétéronymes ? Non, je ne crois pas.
Savannah, ces mots sont pour vous quand bien même je les fais miens et vous espère demain.
Malcom
Dimanche 16 mars
de Savannah à Malcom
Malcom,
Ainsi avec nos deux pseudonymes « l'île » me revient...
J'ai vingt ans, j'ai décidé de retrouver seule la terre de mes ancêtres, après une année d'atelier d'art j'imagine devenir professeur de dessin, ethnologue, journaliste qu'importe ! Je n'ai qu'un modeste appareil photo, quelques blocs notes et mon précieux « cahier ». Je prends l'avion pour la première fois, pour l'Angleterre en premier lieu, puis le grand vol. Quelques rares passagers blancs et puis je découvre dans l'avion cette marée d'hommes de femmes et d'enfants, des africains, des indiens. Ils m'emplissent les narines, la vue. D'un bond je suis à eux, je les aime, je sais que je fais corps avec quelque chose qui ne me quittera plus. Bien sûr il y a les dix sept heures de vol, j'écris dans mon journal tout en lisant Elsa Triolet. Escale à Bénina, on nous débarque comme du bétail, puis Djedda, nous ne valons guère mieux... On propose un meilleur traitement aux quelques passagers blancs, je refuse. Dans la carlingue privée d'air conditionné et chauffée à blanc, ma sueur coule comme la leur. Ce n'est qu'un incident regrettable, nous reprenons le vol... Entebbe et puis Mahébourg-Ile Maurice...
Il a plu, la terre est rouge, je prends pour une émeute la foule entourant l'avion, ce n'est qu'un accueil, il a déjà une odeur d'épices et de fleurs dont je ne connais pas le nom, je pleure d'émotion, je suis chez moi, sur cette terre d'Afrique dont j'ai tant rêvé. Je pourrai écrire jusqu'à l'épuisement, pas un mot ne sera à la hauteur de ce que j'ai ressenti durant ces deux premiers mois... j’écris : « je suis née aujourd'hui... » j'ai vingt ans...
Je vous le disais au téléphone, je ne sais pas si je suis « l’œil » ou Big Brother, en fait j'aime bien Caïn, je serais bien comme lui, simplement « le survivant », celui qui s'attache à la terre et n'attend d'autres louanges que celle de ses fruits...Vous avez remarqué, j'aime la suspension... d'autres aiment les tirets, mais je suis une autodidacte, il m’a fallu trouver mes propres repères. Des peurs, des miennes comme des vôtres, nous en reparlerons, je pense que c'est là qu'il faut trouver l'origine de ce « courage » que je me prête comme qualité, c'est ma façon de les apprivoiser.
Bonne nuit Malcom, j'ai une longue semaine mais vous aussi sans doute, j'ai vu trois pies ce soir (c'est assez rare) peut-être que les nouvelles ne seront pas si mauvaises.
A demain
PS : Savannah. c'est le nom de ma terre Mauricienne et Malcom le prénom du célèbre mauricien Malcom de Chazal. Nous nous connaissions déjà, nous avons du nous manquer.
A suivre