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Sybille de Bollardière

Un dimanche, "une enfance de rêve" et les Alpes mancelles

27 Mai 2014, 08:51am

Publié par Sybille de Bollardiere

Dimanche dans les paysages à visiter de la région, des couples s’en allaient par deux plein d’ennui et de résolution. Marcher parce que « ça pourrait se lever » le temps... La pluie n’est pas une raison pour ne rien faire et puis c’était la fête des mères.

Quand il n’y a plus les enfants, c’est le père qui s’y colle ou le compagnon plein de tendresse pour cette femme entre deux âges qu’il promène en basquets dans ce village de guinguette des Alpes Mancelles où j’ai échoué moi aussi. A la terrasse du café à l’ombre d’un soleil absent devant un galopin de bière et un sandwich au saumon, je trie les passants qui me dévisagent. Provinciaux de classe moyenne venus en voisins du Mans ou d’Alençon, Anglais en tong et tee shirt-que je retrouverai plus tard allongés dans les herbes des rives de la Sarthe - Peintres du dimanche que l’on remarque à leur tenue de peintre et puis des femmes de marche dans la force de l’âge qui vont par deux, sans illusions, bâton et carte IGN en mains.

C’est la fête des mères et « les Européennes », je me demande s’ils ont tous voté « avant » ou s’ils iront après la pluie qui s’annonce parce qu'il faudra rentrer. Vote-t-on de la même façon par beau temps ?une-enfance-de-reve-M147070.jpg

La fête des mères, j’y repense en lisant les pages du dernière livre de Catherine Millet « Une enfance de rêve*» que je termine avec la nuit et les premières pluies du jour. Magnifique récit d’apprentissage dans la posture de témoin face à sa propre vie, l’enfance, l’émancipation de la famille et cette distanciation qui annonce l’écriture. De cette tribu qui n’a rien d’idéal, je garde la mère, Simone, une femme de son temps, secrétaire élégante et obstinée. Une femme qui s’est probablement rêvé une vie qu’elle n’atteindra pas. Une vie fatale, éprouvante entre les tensions et l’exigüité d’un trois pièces cuisine de banlieue où l’on se tasse toutes générations confondues, pour rêver d’amour, de livres, d’argent ou de liberté. Dans ce récit ciselé sans aucune intention narcissique, il est question de l’enfance de l’auteur et de cette vie dédoublée qui précède la création littéraire, mais beaucoup de la mère et de ce qu’on ne dit pas : le manque d’argent.

On se croirait en 2014 dans ces quartiers de Paris ou d’ailleurs où la classe moyenne s’étrangle pour être là « où se passe la vie » le travail, la culture et tout le reste. On ne dira jamais toute l’énergie et l’invention qu’il faut aux mères pour résister à ces vies là, pour faire illusion et pour que ça ne se voit pas.

Dans la reconstitution minutieuse des lieux d’« Une enfance de rêve », il y a une scène qui repasse devant mes yeux comme si j’en avais vu le film. La mère à quatre pattes sur le sol, s’obstinant à la pose épuisante et compliquée d’un linoléum par souci de décoration et plus tard - toujours dans la même position - éreintée le soir après son travail pour tenter d’entretenir ce fameux lino qui se révèlera « innetoyable ».  Inexorable lino qui emporte la raison d’une mère.

La force de ce livre réside dans la pudeur des sentiments face à l'effondrement final et tout au long de ces pages où le manque surprend. L’argent fait défaut d’autant plus douloureusement quand on travaille sans en gagner assez pour se loger correctement. A lire le livre de Catherine Millet, on réalise que « Les trente glorieuses » ne l’étaient pas pour tout le monde et que parler de ses difficultés financières est toujours beaucoup plus indécent et risqué que de décrire sa vie sexuelle. 


*Une Enfance de rêve - Catherine Millet - Flammarion 2014

 Album photo : Les Alpes Mancelles