En prenant la route à Morsalines, j'avais prévu de rentrer directement chez moi mais la pluie horizontale sur le nord Cotentin m'a dissuadé de continuer. Quittant la nationale, j'ai obliqué vers Vierville sur mer, dans l'espoir de trouver un bar ouvert. Je me suis retrouvée à Omaha Beach, au milieu des cars et des derniers touristes américains et néerlandais venus fêter le 75 ème anniversaire du débarquement.
Mon texte pourrait s'appeler les coquelicots d'Omaha Beach puisque c'est la première chose que j'ai remarquée sur un talus oublié, dans le seul endroit qui n'ait pas été encore récupéré pour mercantiliser le souvenir. Un peu avant la mer, un talus coincé entre une terrasse en béton et la route. Plus loin la plage, le monument à gauche, la pointe du Hoc et à droite, l'infini de la brume. J'ai pensé aux coquelicots qui devaient recouvrir ce même talus il y a 75 ans, à tous ceux qui se sont couchés là, sur ce talus ou plus bas sur la plage. Je les ai imaginés si jeunes fermant les yeux au milieu des coquelicots et des marguerites...
Devant moi, une valse de parapluies comme des fleurs sur l'horizon gris. ils sont là par petits groupes autour de leur guide. Ils vont et viennent de la plage à la digue, écoutent le récit des héros, la guerre vertueuse, la guerre indispensable et le noms de ces morts qui n'avaient pas l'âge d'être morts et dont les portraits en uniforme décorent les routes de Normandie.
En quittant les lieux j'ai pensé aux miens au complet dans l'au-delà maintenant mais séparés et pour certains, anonymes. Ce monument virtuel que je dresse de mémoire au fil des routes s'appelle probablement un livre. "Ecris-nous" a dit ma mère avant de les rejoindre. Ce livre-là, il va être temps que je l'écrive. C'est ce que j'ai pensé aussi en photographiant les Coquelicots d'Omaha Beach.