"je travaille à naître" Léon Deubel, le dernier poète maudit
L’air est vif, acide et sent le feu de bois, l’hiver n’en démord pas. Alors « pour renaître » entre neige et pluie, je lis ce poème de Léon Deubel, le dernier poète maudit, si connu de son temps et pour ainsi dire oublié.
Je travaille parfois à naître
D’un pays veiné de ruisseaux,
Populeux de pins et de hêtres
Et qui se décoche en oiseaux.
C’est une terre recueillie
Que la menace des hauteurs
Rend grave à l’exemple des vies
Sui qui pèse et fond le malheur.
Entre les coteaux qui la bercent
Du lent bercement de leurs blés,
Elle apparaît, forte et diverse,
Comme cent peuples rassemblés.
Léon Deubel, revue Europe, n° 1008, avril 2013, p. 280.
Pauvre, inadapté à la vie sociale, Léon Deubel se suicida en se jetant dans la Marne après avoir brûlé tous ses manuscrits.
Acte de décès retrouvé à la mairie du 4 èmearrondissement :
« L’an mil neuf cent treize le dix-neuf juin à trois heures du soir ; acte de décès de Léon, Louis Deubel, sans profession, domicile inconnu, né le vingt-deux mars, mil neuf cent soixante-dix-neuf, à Belfort (Territoire de Belfort), décédé vers le six juin courant, dans la circonscription de Charenton et transporté 3 quai de l’Archevêché. Fils de Louis, Joseph Deubel et de Marie Joséphine Mayer, décédé, célibataire. »
C’était le 6 juin 1913, son corps fut repêché dans la Marne et grâce à son ami le romancier Louis Pergaud, (auteur de La guerre des boutons) il échappa à la fosse commune et une souscription fut même organisée pour permettre l’édification d’un buste à sa mémoire et la publication de l’œuvre de Léon Deubel, le dernier poète maudit.
Détresse
Seigneur ! je suis sans pain, sans rêve et sans demeure.
Les hommes m’ont chassé parce que je suis nu,
Et ces frères en vous ne m’ont pas reconnu
Parce que je suis pâle et parce que je pleure.
Je les aime pourtant comme c’était écrit
Et j’ai connu par eux que la vie est amère,
Puisqu’il n’est pas de femme qui veuille être ma mère
Et qu’il n’est pas de cœur qui entende mes cris.
Je sens, autour de moi, que les bruits sont calmés,
Que les hommes sont las de leur fête éternelle.
Il est bien vrai qu’ils sont sourds à ceux qui appellent.
Seigneur ! Pardonnez-moi s’ils ne m’ont pas aimé !
Seigneur ! J’étais sans rêve et voici que la lune
Ascende le ciel clair comme une route haute.
Je sens que son baiser m’est une pentecôte,
Et j’ai mené ma peine aux confins de sa dune.
Mais j’ai bien faim de pain, Seigneur ! et de baisers !
Un grand besoin d’amour me tourmente et m’obsède,
Et sur mon banc de pierre rude se succèdent
Les fantômes de Celles qui l’auraient apaisé.
Le vol de l’heure émigre en des infinis sombres,
Le ciel plane, un pas se lève dans le silence,
L’aube indique les fûts dans la forêt de l’ombre,
Et c’est la Vie, énorme encor qui recommence !
(1900, place du Carrousel, 3 heures du matin.)
Œuvres de Léon Deubel
La Chanson balbutiante. Éveils, Sollicitudes, la Chanson du pauvre Gaspard (1899)
Le Chant des Routes et des Déroutes (1901)
À la Gloire de Paul Verlaine (1902)
Léliancolies. La Chanson du pauvre Gaspard (1902)
Sonnets intérieurs (1903)
Vers la vie (1904)
Sonnets d'Italie (1904)
La Lumière natale, poèmes (1905)
Poésies (1905)
Poèmes choisis (1909)
Ailleurs (1912)
Régner, poèmes (1913)
Œuvres de Léon Deubel. Vers de jeunesse. La Lumière natale. Poésies. Poèmes divers. L'Arbre et la Rose. Ailleurs. Poèmes divers. Appendice, préface de Georges Duhamel (1929)
Lettres de Léon Deubel (1897-1912) (1930)
Chant pour l'amante (1937)
Florilège Léon Deubel, publié à l'occasion de son centenaire (1979)