Que reste-t-il de l'amour ?
"Silence" S. de B. 2005
Qu’est-ce que l’amour « après » ? En rentrant de Paris sur la ligne de train Montparnasse-Granville, je note des idées, des mots sur ces trois jours du Forum Philo du journal Le Monde, «L’Amour au Mans» - comme l’a nommé Olivier Steiner avec qui j’y suis allée - officiellement « l’Amour toujours ». Trois jours de conférences au cours desquelles nous avons écouté, noté, somnolé parfois, avant de chercher le soir notre chemin sur les départementales de l’ouest.
Le souvenir de ce que nous avons entendu et partagé, s’est édifié au fil des routes de l’Orne et de la Sarthe dans le brouillard de la nuit de novembre, comme s’il nous avait fallu ce sas d’oubli de soi et de perte de nos repères pour entendre autre chose que nos certitudes. Je suis revenue à la brume, à ma vallée et je me questionne : Que reste-t-il de « L’amour au Mans » sinon la superposition de nos échanges sur le sujet, de mes notes et de toutes les questions restées en suspens. L’amour ? De quel amour parle-t-on ? L’amour homosexuel ? A quelle place ? Fallait-il aborder l’amour maternel et éviter d'autres amours qui dérangent, les amours interdites, le rapport de la loi et de l’amour ?
Je me demande aussi ce que l'on retient d’un forum, quand on range ses notes que l’on ne relira pas forcément. Que reste t-il de l’amour « après », sur nous, dans nos livres, dans la vie… Les notes, comme l’objet d’amour, qui n’est pas l’autre qui s’est absenté ou qui nous a quitté, mais ce qu’il laisse en dépôt, en souvenir ou par inadvertance. Un bijou, un pull oublié, une tasse dans l’évier. Mais aussi ce que nous avons pris de lui à son insu et rattaché à sa présence : le décor, l’amour de la terre qui a porté les instants communs, la couleur ou le parfum d’une saison, une chanson, tout ce que nous utilisons pour prolonger le temps de l’amour.
En dépit de ce que disait Pascal Bruckner durant le forum, citant la Princesse de Clèves, « Si l’amour ne peut défier le temps alors il est impossible ». Le plus souvent dans nos vies on ne garde que les preuves d’un amour et rarement l’amour lui-même. Qu’importe, chaque amour est inédit et blanchit la mémoire sans pour autant l’effacer. Je retrouve ces mots de Fabrice Hadjaj « L’amour invente un commencement même si c’est parmi les ruines » « L’amour se déploie dans une histoire...» Une circonstance, un temps, un espace, une géographie, que l’on revisitera en photo, en rêve ou tout simplement pour le plaisir de la raconter. Mais si, comme l’a dit Corinne Pelluchon « On ne peut définir la qualité d’un amour par sa durée », plus tard, qu’est ce qui fait qu’on se souvient ou pas d’un amour ?
« L’orgasme me (nous) dissout dans une volupté aveugle » disait Fabrice Hadjaj. Certes, mais dissous ou pas, on en reprendrait bien encore. On ne bâtit rien sur le sable des passions, mais que c’est bon. La volupté revisitée est un abîme de regrets qui ne peut qu’engendrer l’envie d’aimer à nouveau, « l’espérance infinie d’aimer » dont parlait avec émotion et grâce ce jour là Camille Laurens, qui avoue aussi avoir deux passions : L’amour et la littérature. Mais on court un risque en aimant l’amour. Il ne peut être son propre objet sans faire cruellement défaut. L’amour manque à sa parole, se joue de nous et l’effraction amoureuse nous laisse sans voix…
Ce n’était pas le cas de Christine Angot samedi dernier, d’être sans voix elle ne connait pas. Après dix minutes passées à se faire régler le micro spécialement pour elle, elle a pris la parole. Effets de prétoire tout comme son dernier livre me rappelle les minutes d’un procès. Où est l’amour ? Ses expressions, son visage, son jeu, son JE, ses haussements de ton martèlent les mots, son récit et disent un amour qui n’a jamais pour objet qu’elle-même.
Et que devient l’autre perdu en amour, cet autre dissous dans un idéal amoureux que le siècle peaufine à notre intention. L’autre que l’on évalue comme un possible objet de jouissance, un choix dont on examine chaque option… L’amour connecté, catégorisé, instrumentalisé, « pornographié » et finalement oublié. Eros ou Agapé il n’est même plus question de cela. « Le désir, maître absolu depuis les années 80 » comme l’a dit Alain Finkielkraut, a engendré « la muflerie de l’amour » et « Les engagements n’engagent plus ». C’est vrai que souvent, je t’aime signifie : j’ai envie de te baiser et parfois on précise comment. L’amour est une sous-culture du sentiment à la mesure des sites de rencontres pour : célibataires, mariés, séniors, catholiques, gays, lesbiennes, musulmans, militaires, cougar, SM, etc.… La difficulté des catégories c’est de se croiser. Certaines sont difficiles à concilier et on se demande comment font les seniors-catholiques-SM ou les lesbiennes-musulmanes-cougar… Pour s’appareiller avec garanties d’usage parce qu’au fond, il n’est question que de cela. L’amour le vrai, est libre, sans genre et sans frontières, ce sont ceux qui le font qui définissent les limites.
In fine, je me demande si l’amour n’est pas ce que l’autre fait de nous au fil des jours, au fil d’une rencontre. Ce qu'il a fait de notre préférence, notre révélation, notre transformation. Ce qu’il reste, de lui, d’elle, de nous, de ce qui a été vécu et que nous cultivons « en mémoire de », même sans y songer, parce que faisant partie de nous. En pensant à cela je peux dire simplement que j’écris par amour.
A propos du Forum « L’amour toujours »
http://www.lemonde.fr/livres/article/2012/11/09/le-24e-forum-philo-le-monde-le-mans-pratique_1787826_3260.html
L’amour, une aventure obstinée Alain Badiou, Le Monde
http://www.lemonde.fr/livres/article/2012/11/09/l-amour-une-aventure-obstinee_1787817_3260.html
Faire la vérité dans l’amour , Fabrice Hadjaj, Le Monde
http://www.lemonde.fr/livres/article/2012/11/09/fabrice-hadjadj-faire-la-verite-dans-l-amour_1787819_3260.html
Votre roman d’amour préféré à L’université du Mans
http://scd.univ-lemans.fr/fr/animations_culturelles/expositions/test.html