Zone d'ombre
A quelques jours d’intervalle, entre une nuit de poésie quai de Seine et les brises de l’ouest, je les ai raccompagnés, nonchalants inquiets, rêveurs lucides, la cigarette aux lèvres, bruns debout dans la brume de décembre. Ils m’ont laissé en partage quelques rêves et des verres sur le coin d’une table, leurs mots jetés en travers des jours, des noms, des sourires et l’envie d’un monde différent, beaucoup plus simple que celui que l’on prétend. Le mariage pour tous, un monde d’égalité tout simplement. Et, plus par pudeur que par indifférence, je les suis à voix-basse, fustigeant à demi-mots ceux que la liberté dérange.
Que puis-je faire d’autre moi la mère, la sœur, la nièce, l’amie d’homosexuels ? C’est une fin d’année qui sent le souffre dans une atmosphère de fin de règne et l’exclusion. Pourquoi tant de rage pour défendre les territoires du passé, les visions étroites et les causes perdues ? Bientôt on s’aimera en France comme on s’aime déjà en Hollande, en Norvège, en Belgique, en Espagne et même au Portugal et l’amour quel qu’il soit, ne peut être la fin du monde.
Je ne dors pas. Il est deux heures, quatre heures et la lumière clignote dans la nuit, c’est le phare de facebook, la lueur verte d’un « ami » qui se lève pour écrire et poste avant d’aller dormir. C’est là que je guette l’air du temps, Julien l’étudiant-écrivain ou Eric le vieux, qui ne croit plus à rien ou encore Jenny qui a attendu en vain et s’en va finir la nuit, à deux mains sur son blackberry. Maria qui n’aime plus que les chats est revenue seule de Glasgow et Sorian remercie ceux qui étaient à sa signature hier soir. On s’est connues dans son ancienne vie mais c’est décidé, elle l’annonce, Anne repart pour l’ouest afin que dure cet amour qui n’aurait jamais du commencer. Piotr n’aime plus que les livres mais il n’écrira pas ce soir, trop de bière et d’ennuis et puis il a cours demain. Ici les chouettes tournoient dans la nuit.
Cinq heures, la lumière verte encore. Marianne déclare qu’elle ne supporte ni la médiocrité, ni les faux semblants, ni le mensonge et qu’elle entend bien le faire savoir. C’est ce qu’elle fait sur facebook, on entend que ça, cette clameur qui monte et tourbillonne en vert dans la nuit noire. Et voila c’est lundi, facebook étire sa gueule de bois au fil des statuts. « J’ai dit ça, mais c’est pas comme si je l’avais dit » « J’aime » « Bravo, tu as raison » « je t’aime ». Mes amis, à tort ou à raison, mes followers, moi aussi je vous aime et maintenant c’est lundi et j’ai repris goût à mon exil. Je dépose vos ex-voto au coin du cœur et des yeux, je me relis, je me rature et je m’expose en toute impunité. Ça se fera.
« Confiteor Deo omnipotenti » ouvrez les yeux de ceux qui croient voir, les oreilles de ceux qui pensent avoir entendu car ils sont peu nombreux ceux qui ont compris de quoi il s’agit.