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Sybille de Bollardière
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Yoshka et l'épitaphe de Stevenson

25 Février 2010, 20:02pm

Publié par Sybille de Bollardiere

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Il pleuvait depuis des jours. Yoshka s’était assis dans le coin du salon le plus éloigné de la fenêtre mais rien n’y faisait. Pâle, les traits tirés et le regard perdu, il promenait sa présence désenchantée plus qu’il n’habitait les lieux. J’avais beau m’agiter, me creuser la tête pour trouver une occupation, un centre d’intérêt nouveau, rien n’y faisait. Lentement perfusé par le goutte à goutte du ciel obstinément gris, Yoshka se délitait… Il n’avait plus envie d’écouter de la musique et pas plus de me faire la lecture.

- Qu’est ce que tu aimerais faire ? Tu veux partir ?

- Je ne sais pas, je réfléchis… Je devrais peut-être écrire…

Réjouie de la nouvelle je m’apprêtais à lui céder le bureau quand il ajouta :

- Je voulais rédiger mon épitaphe mais en fait il n’y en qu’une qui me plait: c’est celle de Stevenson.

Il souffla avec lassitude et se pencha vers la table basse pour prendre une cigarette.

- Je la connais par cœur, écoute :

« Under the wide and starry sky
Dig the grave and let me lie,
Glad did I live and glady die
And I laid me down with a will”

- Je ne comprends pas tout, mais ça m’a l’air pas mal, tu peux peut-être changer quelques mots pour la personnaliser et puis… Ca m’étonnerait qu’il te fasse un procès pour plagiat…

Il sourit tout de même avant de se diriger vers la fenêtre.

- Regarde-moi ce temps ! Le pire, vois-tu, c’est de ne pouvoir espérer avoir une épitaphe correcte. Je suis certain que cela aurait pu me consoler de tout…

- Yoshka, il me semble que l’on n’est pas vraiment pressé !

- Tu ne comprends donc pas que pour un personnage, savoir de quelle épitaphe il bénéficiera c’est capital !

- C’est bizarre, je trouve qu’épitaphe, capital et bénéfice, ne font pas bon ménage.

Yoshka haussa les épaules et prit un air lamentable en regagnant le canapé. Si je n’avais craint qu’il s’échappe à nouveau – et Dieu sait combien je souffrais de ses disparitions - je lui aurais avoué que j’étais tout simplement et sans aucune raison, gaie.

Quelque chose dans le fait que Yoshka cite Stevenson me réjouissait profondément, c’était pour moi le retour de la fiction, l’annonce des grands départs. Même si tout commençait par une épitaphe en anglais, cette interminable journée de pluie sentait le cuir mouillé des valises, le pavé glissant des ports où l’on s’embarque vers l’ouest.

Je songeais que bien avant de voguer vers l’Amérique, Robert Lewis Balfour Stevenson avait lui aussi été un jeune homme souffreteux aux poumons allergiques à l’humidité de son Ecosse natale. Comme Yoshka, il était né sous le signe du scorpion mais les comparaisons s’arrêtaient là. Yoshka était ascendant vierge et si Stevenson était l’héritier d’une brillante lignée de concepteurs de phares calvinistes, la famille de Yoshka, en matière de lumière, ne pouvait revendiquer que quelques obscurs et faméliques rabbins.

Il y avait bien entendu « l’apologie des oisifs », ce fameux essai de Stevenson dont le titre, tout comme le contenu, n’était surement pas pour déplaire à Yoshka mais ce n’était pas cela auquel il aspirait. D’ailleurs Yoshka était un oisif triste, un de ceux qui vous donne envie de vous remettre au travail. Non, s’il enviait Stevenson, c’était pour la fiction, le talent de conteur et la multiplication des points de vue et des narrateurs qui permettait une infinie variété de versions au récit.

Stevenson, c’était le génie, l’incontournable romancier. Je me mis au travail. Entraîner Yoshka vers sa gloire sur les traces d’un Stevenson, c’était accepter de lui rédiger une épitaphe conforme à ce qu’il attendait de la vie. La tâche n’était pas mince, même en français et puis, je devais réfléchir au décor. Une épitaphe est certes opportune pour orienter sa vie, mais encore faut-il savoir où prévoir son installation. J’hésitais, après Stevenson à Samoa et Chateaubriand à Saint Malo, je songeai à La Russie. N’était-ce pas la terre des origines de Yoshka ? Et puis je projetais depuis longtemps un voyage dans cette direction. Le fait qu’il n’y ait pas de mer à traverser présentait un grand intérêt pour Yoshka comme pour moi. Un voyage en train pour trouver le lieu précis de son inhumation était donc envisageable. Je pensais aux rives du Baïkal, à cette île où l’on dénombre la plus importante colonie de phoques d’eau douce. Quant à l’épitaphe, j’avais bien du mal. Je ne l’avais pas encore dit à Yoshka, mais en fait, j’avais opté pour une citation, de Stevenson justement :

« Un silence peut être parfois le plus cruel des mensonges »

R.L.S

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Le retour de Yoshka, Dumas père, Eugène Sue et un match de curling...

20 Février 2010, 22:23pm

Publié par Sybille de Bollardiere


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C’était une mauvaise journée, j’ai fui et roulé vers l’ouest longtemps, cherchant des yeux la trace d’une rivière dans le repli d’un vallon, d'un arbre ou plutôt « l’arbre », celui qui vous guette à l’angle d’un talus, dans ces friches de hautes herbes que dévore la lèpre des banlieues. Encerclée de barbelées, cernée de ponts, « bétonnée des rives », la rivière s’échappait dans les bleus du soir quand enfin, j’ai compris, que je ne l’aimerais que de loin.


De loin, comme ces amours que l’on croit pouvoir s’offrir d’une prouesse de stylo et qui de page en page vous laissent la plèvre haletante, sur le bord du chemin. J’en étais là, sur la route du retour ,quand je sentis une présence s’installer dans ma voiture.

- Alors, quoi de neuf ?


C’était Yoshka. Une fraction de seconde j’ai fermé les yeux pour les rouvrir juste avant une série de virages. Que c’était bon d’entendre sa voix, de sentir la fumée de sa Rothman et de savoir que, si j’étendais la main ,il disparaîtrait tout naturellement comme un personnage délicat et complaisant.


- Pas bavarde ! Bon c’est très bien… En fait j’avais juste envie de te lire un texte d’ Alexandre Dumas, tu sais, à propos d’Eugène Sue… Tu permets ?


Yoshka disparaissait et plus de trois mois après la fin d’un roman il refaisait son entrée avec Dumas et Eugène Sue, rien que cela ! Je n’avais toujours pas prononcé un mot mais j’étais heureuse, béatement heureuse ! Après avoir constaté dans le rétroviseur que Yoshka était toujours là et qu’il avait plutôt bonne mine, je lui proposai de me lire Dumas, au coin du feu, avec une bonne bouteille. Il s’enquit de ma santé et déplora la fin « en queue de poisson » que j’avais choisie pour « L’Amour en Zone Inondable » Je rétorquai :


- De toute manière je le mets de côté pour l’instant.

- Qu’est ce que tu attends ?

- Je veux le réécrire complètement… je ne sais pas… On verra plus tard...


Nous étions arrivés. Yoshka sortit de la voiture et prit un livre qu’il avait posé sur la banquette arrière.

- Bon, récapitulons : On va chez toi, je reprends tout en main mais, pour ce soir : vacances, tu a l’air épuisée. Je m’occupe de tout : tu prépares le dîner et je te fais la lecture.

- Bien sûr Yoshka ! Comme d’habitude.


Après le dîner il s’installa dans le canapé du salon et prit sa voix grave, un peu insistante sur les finales. Cela collait parfaitement avec la description que Dumas fait d’Eugène Sue, lequel est présenté comme un homme charmant, plein de douceur et très éloigné du Marquis de Sade auquel il aurait aimé ressembler. Yoshka choisit ce soir là de me lire l’éducation sentimentale du jeune Sue.


- Tu m’écoutes ?

- Oui vas-y, je m’installe et je ne bouge plus.


 « Le même soir, les deux auteurs avaient d'une façon inattaquable leurs entrées dans les coulisses.
Mademoiselle Florival ne se montra pas plus sévère que l'administration, et donna aux deux auteurs leurs entrées chez elle. Ils en profitèrent conjointement et sans jalousie aucune.
Sous ce rapport, Eugène Sue avait des idées de communisme innées. Vers le mois de juin 1825, Damon et Pythias se séparèrent »


Yoshka fit une pause avant de reprendre :

 « Son cœur, usé, brisé, desséché par les amours parisiennes, retrouva une certaine fraîcheur ; là, l’homme qui, depuis dix ans, n’aimait plus, aima de nouveau. Ce fut toute une idylle dans sa vie. Au milieu de cette existence devenue un désert, surgit tout à coup une source d’eau vive ; puis un ruisseau au doux murmure traça son lit au milieu des sables arides, et, aux bords de ce ruisseau, poussèrent toutes les fleurs de la jeunesse et de l’innocence, les bluets et les boutons d’or, les pâquerettes et les myosotis.

C’était une jeune fille du peuple, petite, brune, modeste ; elle était brunisseuse de son état, et était entrée chez Eugène Sue pour avoir soin de l’argenterie, qui était une des passions de notre pauvre ami. Comment s’appelait-elle ? Je n’en sais rien ; lui l’appelait Fleur-de-Marie.


Jamais elle n’essaya de sortir de l’humble position qu’elle occupait ; jamais Eugène Sue n’essaya de la produire. On rencontrait la douce et belle enfant dans les corridors, dans les antichambres, dans les vestibules ; elle glissait et disparaissait comme une ombre ; mais jamais on ne la vit ni dans la salle à manger, ni dans le salon.


Ces deux ans passés entre cette jeune fille et ses lévriers furent peut-être les deux plus douces, les deux plus limpides, les deux plus sereines années de la vie d’Eugène Sue. Hélas ! Les jours de la tempête allaient venir. Dieu, qui voulait sans doute éprouver le poète, lui enleva celle qui, partout, en France comme en exil, eût empêché qu’il ne fût tout à fait malheureux.

Fleur-de-Marie se donna, contre le volet d’un meuble ouvert, un coup à la tête ; elle n’y fit point attention d’abord ; un abcès se forma, et elle en mourut.


Elle avait passé, dans cette vie agitée, comme un rayon de soleil, comme un parfum, comme un murmure ; mais elle y laissait un souvenir éternel. Eugène Sue fut au désespoir, et voilà où fut en lui l’immense progrès.

Dix ans auparavant, il eût cherché l’oubli dans la débauche, la distraction dans l’orgie ; il ne chercha ni à oublier, ni à se distraire. Il pleura et fit le bien. » Alexandre Dumas Mémoires, à propos d’Eugène Sue.


Yoshka alluma une nouvelle cigarette, satisfait. « Fleur de Marie » lui allait comme un gant. C’était une femme tout à fait son genre : petite, brune, effacée… Je repensai à Blanche ma blonde héroïne, mais je n’eus pas le temps d’évoquer le sujet. Yoshka venait d’allumer la télévision et poussa un cri :

-Ah ! Le match va bientôt commencer, il faut absolument que tu regardes ça !

- Mais quel match ?

- Comment ça quel match ? Le match de curling France USA !


Le curling… Un sport ? C’était plutôt étonnant pour moi. J’avais bien quelques souvenirs mais ils remontaient à loin. Bronwald ou Adelboden je ne sais plus, la patinoire sous les lampions, la musique flonflon et la danse des couples suisses dans les derniers rayons du soleil. Dans un coin il y avait quelques hommes en knickers qui s’acharnaient à astiquer la glace devant un palet de 35 kilos. Tout cela se finissait au bar du Sporting avec une petite mousse et une valse. Les enfants aimaient cela. J’en étais.


Exit Dumas. Rivé à l’écran, Yoshka suivait en se trémoussant le balayage obsessionnel des joueurs de curling, d'un geste distrait, il me tendit les mémoires de Dumas en me disant :

- Mets-les sur ta table de nuit, je reprendrai ma lecture plus tard.


Alors je m’installai près de lui, apaisée et pour tout dire prête à regarder un match de curling ou même deux avant de laisser sa voix bercer ma nuit.

Un lien à garder :

"Service Littéraire", le journal des écrivains fait par des écrivains

 

 

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Un livre : Destination Lovecraft

12 Février 2010, 23:04pm

Publié par Sybille de Bollardiere

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« Lovecraft est un homme transparent qui marche au milieu de la foule new-yorkaise. Au loin, sa haute silhouette, sa tête un peu penchée, ses habits démodés. Une déclivité, un tournant : il s’éloigne, le personnage n’a jamais été très proche.


Lovecraft est indéchiffrable, voilà un motif suffisant pour en faire un livre. La figure de son existence reviendra-t-elle réclamer son dû entre ces lignes ? Je ne le crois pas... H. P. L. est un gentleman. Il ne demande rien. Tout a fini par advenir. L’Innommable s’est liquidé »


Ainsi commence Destination Lovecraft de Rémi Karnauch

 

 «Le combat contre le temps est le seul véritable sujet de roman.»
écrivait d'Howard Phillips Lovecraft dans « le Rodeur devant le seuil » C’est probablement pour cela que Destination Lovecraft, le dernier roman de Rémi Karnauch est un livre ou plutôt un voyage haletant, une sorte de pèlerinage douloureux et magnifique ou encore un chemin de croix que le lecteur fait dans le recueillement et la passion. Lovecraft, Le reclus de Providence et Karnauch l’autre héros de cette balade des écorchés, ce sont trouvés. Dans cette biographie au scalpel on touche au sublime en grinçant parfois.


C’est vrai, il y a du Lautréamont  dans ce livre ambitieux et il ne faut pas craindre de le lire à haute voix. Dans la langue de Karnauch, Lovecraft, l’héritier de Poe remonte des abîmes.

 

Sybille de Bollardière


A partir du 19 février dans toutes les "bonnes librairies"Destination Lovecraft de Rémi Karnauch, 17 euros Editions L'Aparté H&O

http://www.laparte.ho-editions.com

 

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Un vent pour BHL ou El nino en philosophie...

8 Février 2010, 13:17pm

Publié par Sybille de Bollardiere

Exclusif Bibliobs

BHL en flagrant délire: l'affaire Botul

Par Aude Lancelin

Ce devait être le grand retour philosophique de Bernard-Henri Lévy. Patatras ! L'opération semble compromise par une énorme bourde contenue dans « De la guerre en philosophie », livre à paraître le 10 février. Une boulette atomique qui soulève pas mal de questions sur les méthodes de travail béhachéliennes
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Nul ne peut plus l'ignorer, Bernard-Henri Lévy, « ennemi public » ainsi qu'il se présentait à l'automne 2008 dans sa correspondance avec Michel Houellebecq, est de retour dans les magazines. Tous les magazines. Lorsque nous l'avions invité à débattre au « Nouvel Observateur », le 13 janvier dernier, avec le philosophe Slavoj Zizek, un de ses adversaires, nous étions encore loin de deviner l'ampleur de la tornade à venir. Grand entretien dans « l'Express », portrait d'ouverture dans « Paris Match », couverture de « Transfuge », panégyrique dans « le Point » signé Christine Angot, interview de six pages dans « Marianne ». On en oublierait presque une chose. La cause occasionnelle, le détail à l'origine d'une telle profusion : la parution de deux livres, le 10 février prochain chez Grasset. Un épais « Pièces d'identité », recueil de textes et d'entretiens déjà parus sur toutes sortes de supports, et « De la guerre en philosophie », version remaniée d'une conférence prononcée en 2009 à l'ENS de la rue d'Ulm.

"Bernard-Henri Lévy est écrivain, cinéaste, documentariste, chroniqueur - mais il est, d'abord, philosophe. Et c'est à cette identité première qu'il revient dans ce livre", annonce l'éditeur du bref essai qu'il publie ce 10 février 2010, et qui s'intitule "De la guerre en philosophie".....


Plaidoyer pro domo en faveur d'une œuvre injustement décriée, la sienne, ce second opus d'environ 130 pages, « De la guerre en philosophie », se présente comme le « livre-programme » de la pensée béhachélienne. Un « manuel pour âges obscurs, où l'auteur "abat son jeu" et dispose, chemin faisant, les pierres d'angle d'une métaphysique à venir » -  rien de moins, trompette l'éditeur au dos de la couverture. On l'aura compris, ce livre devait signer le grand retour de BHL sur la scène conceptuelle dite sérieuse. Son ultime plaidoirie face à une caste philosophique qui l'a depuis toujours tourné en dérision, de Deleuze à Bourdieu, en passant par Castoriadis. Une lecture attentive dudit opuscule révèle cependant que l'affaire est assez mal engagée.

« La vraie question pour une philosophie, c'est de savoir où sont vos adversaires, et non où sont vos alliés.» Ainsi l'auteur se lance-t-il, chemise au vent et sans crampons, à l'assaut de quelques contemporains gauchistes renommés, mais aussi de Hegel ou de Marx, « cet autre penseur inutile, cette autre source d'aveuglement », notamment reconnu coupable de ne pas donner les moyens de penser le nazisme. A la décharge, l'idéalisme et le matérialisme allemands, toutes ces conneries superflues ! Bernard-Henri Lévy ne s'est jamais laissé intimider par les auteurs mineurs.

Il s'en prend tout aussi fougueusement à Kant, « ce fou furieux de la pensée, cet enragé du concept ». Un peu audacieux de la part d'un penseur qui ne peut, somme toute, revendiquer à son actif qu'un brelan de concepts pour news magazines comme le « fascislamisme » ? Même pas peur. BHL a des billes. Le vieux puceau de Königsberg n'a qu'à bien se tenir. A la page 122, il dégaine l'arme fatale. Les recherches sur Kant d'un certain Jean-Baptiste Botul, qui aurait définitivement démontré « au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans sa série de conférences aux néokantiens du Paraguay, que leur héros était un faux abstrait, un pur esprit de pure apparence ». Et BHL de poursuivre son implacable diatribe contre l'auteur de « la Critique de la raison pure », « le philosophe sans corps et sans vie par excellence ».
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Il en sait des choses, Bernard-Henri Lévy. Le néo-kantisme d'après-guerre. La vie culturelle paraguayenne. Seul problème, Jean-Baptiste Botul n'a jamais existé. Pas plus que ses conférences dans la pampa, auxquelles BHL se réfère avec l'autorité du cuistre. Ce penseur méconnu est même un canular fameux. Le fruit de l'imagination fertile de Frédéric Pagès, agrégé de philo et plume du « Canard enchaîné », où il rédige notamment chaque semaine « Le journal de Carla B.». Un traquenard au demeurant déjà bien éventé depuis la parution de « la Vie sexuelle d'Emmanuel Kant », pochade aussi érudite qu'hilarante publiée en 2004 aux éditions Mille et une nuits sous le pseudonyme de Botul. Une simple vérification sur Google aurait d'ailleurs pu alerter le malheureux BHL. Le même Botul y est en effet aussi répertorié pour avoir commis une œuvre au titre prometteur : « Landru, précurseur du féminisme ».

Renseignement pris, personne ne s'était encore jamais pris sans airbag cet énorme platane. C'est désormais chose faite. Toutes proportions gardées, c'est un peu comme si Michel Foucault s'était appuyé sur les travaux de Fernand Raynaud pour sa leçon inaugurale au « Collège de France ». Mais alors, qu'a-t-il bien pu se passer dans le cerveau infaillible de notre vedette philosophique nationale ? Une fiche mal digérée ? Un coup de sirocco à Marrakech? « C'est sans le moindre état d'âme que j'ai, depuis 30 ans et plus, choisi le rôle du renégat, endossé l'habit du disciple indocile, et déserté ce mouroir de toute pensée qu'est devenue l'Université », écrit Bernard-Henri Lévy. Un peu trop, sans doute.

Ainsi se sera-t-il toujours trouvé un importun, un pédagogue indiscret et pointilleux, pour venir s'interposer entre sa personne et la gloire philosophique. Il y a trente ans, c'était l'historien Pierre Vidal-Naquet, qui avait recensé dans un texte mémorable publié par « le Nouvel Observateur » les nombreuses perles d'écolier contenues dans son essai, « le Testament de Dieu ». Cette fois-ci, c'est un philosophe burlesque qui n'existe même pas.

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