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Sybille de Bollardière

L'Orange de Mars 20 - Je ne sais pas aimer

, 08:00am

 Se lever le matin en sachant à qui l’on va dédier ses premiers mots jetés sur le papier, ouvrir la fenêtre des nuits et savoir que plus loin vers la ville une lueur vous est proche, intime et qu’elle éclaire une autre page où votre nom sera couché… Savannah connaissait le prix de ces instants, elle devinait aussi le vide qu’ils laisseraient s’ils venaient à disparaître. Oui, chaque rencontre, chaque maladresse soufflait un vent froid et un relent de solitude alors, pour conjurer le destin, elle donnait le pire à craindre alterné du meilleur à espérer. Elle ignorait les demi-teintes qu’affectionnait tant Malcom et soufflait le chaud et froid pour vaincre sa peur du vide.

De: 'Savannah.' À: 'Malcom.'

Objet: je m'améliore, inexorablement

Date: mardi 29 avril 2003 23:14


 Malcom,


Je ne sais pas aimer, je crois ne l'avoir jamais su. Bien sûr il y  eut des éclairs d'émotion, de désir ou de tendresse, moments éperdus où je m'oubliais et non seulement moi, mais le regard des autres, leurs injonctions, pour fondre seulement dans les yeux de l'autre. 


Mais du plus loin que je m'en souvienne quelque chose de froid et de glacé, comme un scalpel découpant les chairs venait se superposer au sentiment tendre. Lucidité glaciale qui me transformait en spectateur de ma propre vie et de mes sentiments. Rien n'a jamais résisté à cela, pas un aïeul, pas un enfant pas un animal, fut-il tendrement aimé. 


Il m'a fallu les perdre pour hurler leur absence et le manque que j'avais d'eux. J'ai tant à réparer de ces regards sans douceur que j'ai posés sur ceux qui m'entourent !  Est ce pour cela que je m'efforce d'être utile à tous sans parfois me ménager ? Probablement et pourtant je sais que l'amour ne demande aucun effort qu'il est don et acceptation sans compter ni mesurer. 


Seule la nature m'a comblée sans que je ne lui demande rien et encore, il faut que j'écarte ces jardins où j'ai usé des heures. Pour le plaisir des yeux combien de journées sans lever le regard vers le ciel !  


Il m'est arrivé de dire 'je t'aime' pour y croire et surtout pour l'obtenir, l'amour des autres me rassure, il éloigne la mort et le froid de l'absence, il me rend meilleure aussi. J'aime à ma façon, par écrit et par pensée. O ce voeu de bien faire et de s'améliorer sans cesse remanié ! Ne pouvant obtenir mon propre bonheur j'ai souvent souhaité celui des autres avec une intime force, c'est aussi une façon d’aimer.  


Cet auto portrait n'est guère flatteur, je ne sais pas pourquoi je m'y résous, mais ta longue lettre, si belle et si profonde m'a inspirée, je ne pouvais rester en 'surface' en te répondant quelques banalités attractives. J'aimerais que tu ne m'en veuilles pas et surtout que tu acceptes mes mots comme je les ai écrits, simplement, parce que nous avons tous des clefs perdues et parfois, depuis si longtemps. 


Durer dans le présent dans toutes les formes de l'attachement (cela n'exclue pas la distance) voilà comment je définirais 'une manière d'amour. Avec le temps je m'améliore, inexorablement et je ne suis pas désespérée.

Je souris en t'embrassant, à demain.


Savannah.



De: 'Malcom.' à: 'Savannah.'

Objet: sentinellement tien.

Date: mardi 29 avril 2003 23:35.


 Savannah,


 Je crois savoir, d'une toute autre manière, ce qui déchire l'âme de l'enfant et efface pour longtemps les marques d'estime. Mais à s'accepter il est possible d'offrir à d'autres les élans désirés. Et tu le devines. Et tu le dis, l'écris si bien. Mais ne répare rien. J'aime à croire qu'en s'invitant à l'estime de soi on gagne le partage des vies.


Je t'embrasse et te souris aussi.

Malcom.


 De: 'Malcom.À: <.Savannah

Objet: En écoutant Art Tatum

Date: jeudi 1 mai 2003 23:36

 

Savannah,


 Tu étais plus détendue, tu avais pris de sages décisions. Nous étions ensemble tous épidermes confondus. Dans nos débats nocturnes, tes questions trouvèrent quelques mots. convalescent. C’est ainsi que je ressens le flot des émotions. Il n’est besoin  que de tendresse.  


Dans les hauts de R***, quelques brins des champs étaient de toutes nos fortunes. Tournant aux quatre vents nos regards, tu aspirais les volutes bleues que je te préparais. Partager ces instants avec toi. A nouveau. Veux-tu ? 


Mes silences ? Avec lenteur, certes, mais avec constance, je retrouve le goût des mots, en retrouvant leur souffle deviendrai-je plus spontané ? Accorde-moi cet augure.


En écoutant Art Tatum. Pour t'écrire avec gaieté. Des mots. En écoutant Art Tatum du tabac dans les narines, , j'écris ce mot de 1er mai, avec les clochettes blanches et les tiges anguleuses, les feuilles larges. En écoutant Art Tatum, les muguets fleurissent.....


Je t'embrasse dans la nuit.



Malcom


 Savannah me lisait parfois au téléphone les lettres de Malcom et j'étais le plus souvent touchée par cette constance et cette attention à l'autre dont il faisait preuve. Mais je ne pouvais m'empêcher d'être agacée par son style, son emphase. J'y voyais une marque servile, une impuissante face au destin amoureux mais aussi, et c'était récent, une certaine méfiance vis à vis de la fantasque Savannah.



A suivre..