Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Sybille de Bollardière

obsidienne

commentaires

Muse

29 Décembre 2023, 09:43am

Publié par Sybille de Bollardière

Muse

Après la route, la pluie, les phares aveuglants 
Et sur l’écran des nuits, les mots d’un inconnu
Aigus, précis, des mots en musique 
Qui prolongent je ne sais quel temps 
Que l'on devine commun
Le temps du héron, de l'eau et des silhouettes disparues

De mémoire, je redessine les plaines
Leurs couronnes de vanneaux huppés
Et mes souvenirs de muse ordinaire
De celles que l’on couche en bas de page
Sans autre honneur que quelques vers

Dans la chambre sous les toits
Ouverte aux combles des nuits
Les brouillons d’amour s’offraient des paradis bleu marine
Une page d’illusions parfois
De celles que l’on se lit glacés au petit matin
Dans le souvenir des corps et l’envie des mots

Oui, tout cela avant d'écrire un jour...

 

Voir les commentaires

commentaires

Une autre vie

18 Décembre 2023, 09:23am

Publié par Sybille de Bollardière

Tout a commencé par une autre vie que la mienne
Un soir sans sommeil, la révélation de ne pas être soi
La petite fille couchée dans les draps, ni tout à fait cette autre
Plus âgée, gardienne libre et sauvage d’un présent immatériel
Cet autre moi dont je ressens chaque pensée, chaque geste

Je n'ai pas cinq ans et soudain je ne sais plus d'où je viens
Je vis chaque soir mon ubiquité entre deux mondes
Un temps, j'ai pensé qu'il me suffirait de fermer les paupières
D'invoquer dans le noir le grand Intermittent des prières
Qui lui, doit bien savoir
Comment retourner d'où je suis
Comment retrouver le livre des nuits anciennes
Ma mémoire enfouie
Revenir là où tout a commencé, les hautes terres
L'horizon d'un ailleurs disparu sous l'éclat de la lune 
Un pays, un mystère
Dont chaque paysage me revient le soir, mais pas seulement
Des voix dans la nuit des temps, une langue des origines
Celle que je reconnaîtrais, j'en suis certaine
Si je l'entendais à nouveau

J'ai vécu toute une enfance entre les affleurements d'une conscience antérieure
Parfois parallèle
Et mon existence ordinaire, consignée dans la chambre au fond du couloir
Je me suis créé un monde nouveau pour accueillir une vie dupliquée
Une autre naissance à l’Est, il y a longtemps
Dans la tribu nomade d’une haute vallée désertique

Entre deux campements de fortune
Nous naviguions sur une terre de Sienne
Dans une roulotte de peau tirée par deux chevaux noirs
Le patriarche nous guidait, parlait peu
Sans un regard pour le paysage sillonné de nos illusions
D’une main tenant les rênes, de l’autre, l’horizon

Attentive au seul balancement de mes jambes au​-​dessus du vide 
Je surveillais le travail incessant des roues sur la terre desséchée
L'ombre des chevaux sur la plaine où le temps des nuits approchait
Parfois dans le ciel, la signature d’un échassier sonnait l'alarme
Anonymes et furieux, ils ont pillé mes nuits citadines
Partagé mon sommeil entre le pays du haut
Et la chambre au bout du couloir
Nous avons été heureux, je le sais
J’en garde la passion sous la peau, les os
Leurs cris, mon rire e​t leurs voix dans le noir
Une seule chose m’a manqué 
Le nom qu’il​s​ me donnaient

Un soir d’incendie, j'avais dix ans, je les ai perdus
Je n’ai rien oublié des couleurs
Du rouge des murs à l’ocre des montagnes
Je me souviens de l’odeur du vent et de la pierre sur la plainte des chemins 
Ils m’ont laissé ce rêve barbare où, seule face aux ténèbres en feu 
Je me levais avec deux bras d’homme munis de mains droites
L’horreur masquait la poussière d’une route 
Où je me tenais accroupie dans ma peur 
J’ai fui
Plus tard, je me suis souvenue de nos silhouettes dans l’ombre 
Notre crainte d’être pris
Le silence rompu par le claquement des dents
Ne me reste​nt​ qu’un cri et leurs dos aveugles dans ma fuite

J’ai aimé ce qu’ils ont fait de moi
Un jour, un soir, j'ai croisé d’autres routes
Nous avons pillé nos destins, fatigué nos espoirs
Et puis, bien plus tard, je l’ai rencontré lui
Comme un frère silencieux 
Ma part d’homme, je la lui dois
Aussi
Nous avons été l’un et l’autre, chacun à notre façon
Réfugiés de l'ailleurs dans nos peaux respectives
Suspendus dans l’attente et probablement aussi dans nos rêves
Le temps de s’aimer, le temps de se perdre
D'écrire aussi
Et maintenant le poème

Poème extrait d'Obsidienne (A paraître)

Voir les commentaires

commentaires

Outrenoir

2 Novembre 2023, 08:53am

Publié par Sybille de Bollardière

Pierre Soulages, 1919 -2022

Pierre Soulages, 1919 -2022

"La tempête mandchoue sablait la départementale"1
Écrivait le poète en marchant dans la ville
C'était avant, à l'aube d'une année que tu n'avais pas écrite
Bien avant l’été de Faro quand tu cherchais déjà ce que tu n'avais plus
Ce que tu n'avais même jamais eu
Tu as tellement manqué que seuls les enfants savaient te parler
Mais que faire du présent à présent ?
Quelle place lui donner quand le passé l'envahit et règle ses comptes
Il est temps maintenant
Et parce qu'il t'aimait et qu'il savait l'écrire en détournant la langue
et son tourment de vivre
Ta place t'attend à la droite du Père parmi les vivants et les morts
Mais ce que tu aimerais toi c'est un présent éternel
Une nouvelle peau de chagrin
Le temps de vivre et d'écrire peut-être même d'aimer 
Tout à la chaleur d'un corps, le tien
Libre de composer l'hymne du futur
Une nouvelle géographie des voyages
Loin du pavillon de la tranquillité
Vivre
L'avènement promis
Tu ne mourras point
C'est aujourd'hui que tout commence
Car je te le dis c'est bien des morts
Dont nous tenons notre vie et pas seulement
L'amour inépuisable ici à l’ouest
Où la synérèse divine rime avec heureux
Alors à défaut de gloire et d'amour 
Tu échangerais bien quelques mots
Contre un passé plein d’avenir
"Et quand commence t'on de finir ses jours?"1
Tu ne veux pas tourner la page
Tu sais qu'au-delà c’est entrer dans une vie
Qui comme l’amour en image
Ne vous appartient déjà plus
Revenir à ceux que vous étiez
Marcher d'un simple accord sans gravir la pente
Ecrire encore pour ne pas en finir.

1 novembre 2023
1 - Michel Deguy - Donnant Donnant, Gallimard 1981

Voir les commentaires