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Sybille de Bollardière

poulpitude et autres tourments

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Piotr le poulpe, W.H. Smith et le défilé Chanel

15 Décembre 2010, 12:35pm

Publié par Sybille de Bollardiere

Piotr-chez-CHANEL.JPG

 

Fin de journée très parisienne à quelques jours de noël. Hier après-midi, alors que je préparais un texte sur la lecture et quelques illustrations, Piotr se montra d’une inextinguible agitation. Après trois bains aux extraits d’algues, une douche et une longue station devant la penderie pour savoir quelle chemise il porterait, il fut enfin prêt pour assister au défilé de la collection Paris-Byzance chez Chanel. J’eus beau lui faire remarquer que le temps ne se prêtait pas aux élégances et qu’avec le risque de neige, des après-ski et un col roulé auraient mieux fait l’affaire, rien n’y fit. Piotr affronta avec bonheur le vent glacial de la rue Cambon. Paris avait son teint de fête foraine qui ne lui va pas si mal. En avance comme toujours, je m’engouffrai chez W.H. Smith, la librairie anglaise au coin de la rue de Rivoli, pour le plaisir de flâner entrer les rayons au son de ces chants de noël dont les anglo-saxons ont le secret. Notre Poulpe érudit s’offrit quelques exemplaires de « Calvin et Hobbs » pour lesquels, à mon grand étonnement, il demanda un papier cadeau alors que je rêvais devant les illustrations d’un atlas historique des Etats Unis.

Au 31, le défilé fut somptueux, en particulier une longue robe en voile translucide imprimé d’un motif cachemire dans les tons de gris-bleu et d’orangé ainsi qu’un manteau digne d’un couronnement, noir brodé or. Après une coupe de champagne et quelques délicieux petits fours aux saint Jacques, Piotr s’avança vers moi la bouche pleine :

- C’est quand même grâce à moi que nous sommes invités…

- Je ne le pense pas mon cher Piotr, si le blog intéresse la « belle maison », je crois que nous le devons à L’Amour en Zone inondable et peut-être même à Yoshka… Au fait, ne m’annonce pas ce soir que tu veux devenir couturier ! Je t’assure, Editeur, c’est très bien.

 

 

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Le temps d'un poulpe dans l'ère glaciaire 2010

10 Décembre 2010, 16:52pm

Publié par Sybille de Bollardiere

 

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Ce n’était pas une bonne idée d’aborder cette question sans ménagement en rentrant tard un soir. Piotr était en droit de penser que je n’avais qu’une envie : me débarrasser de lui. Mais pouvais-je prolonger cette attente inquiète ? Il était capital pour nos projets de savoir de combien de temps disposait un poulpe hors-normes comme Piotr. Combien d’années lui restait-il à vivre ?

 Sur quel temps compter ? Voila la vraie interrogation qui nous bouleverse à chaque fois que nous entreprenons quelque chose d’important, qu’il s’agisse d’une relation, d’une œuvre, d’un voyage… Le temps qui nous est imparti. Dans le cas de Piotr, j’aurais aimé que l’on puisse me garantir une période précise, savoir à quoi m’attendre.

 Piotr prenait son bain, sans me regarder, il me répondit :

- Oui, je t’ai entendue, attendue aussi… Enfin pour te répondre : trois ans, je crois que c’est ce qui est prévu pour les poulpes. Trois ans c’est aussi le temps de l’amour ici n’est-ce-pas ? Sauf que…

- Oui ?

- Je suis un poulpe mutant avec l’ouïe, la parole, cinq tentacules au lieu de huit et puis, il y a autre chose mais peux-tu seulement comprendre ?

 Piotr m’agaçait. Je n’étais pas certaine de pouvoir comprendre mais je me sentais capable de réfléchir à la question. La réflexion, j’avais même eu du temps pour cela le jour même : rien moins que cinq heures dans ma voiture à faire du sur place sur une autoroute-patinoire où la moitié de la banlieue ouest s’enlisait dans l’attente d’un chasse -neige. Pour tromper le temps, il y avait eu les appels de Yoshka. Tous les quarts d’heure pour savoir où j’en étais, pour me conseiller d’abandonner ma voiture et de chercher un hôtel. C’est là que j’avais songé à cette question du temps qui presse. Yoshka lui, se disait mourant depuis la naissance, du coup il était largué d’avance et jamais pressé. Il faisait du rab et parvenait même à s’ennuyer de ce temps infini, offert, uniquement occupé par la souffrance de ne pas écrire.

 Combien d’années Piotr vivrait-il encore ? Et de quoi voulait-il parler ? D’amour sûrement et de cette éternité qu’offre un sentiment fusionnel ou le don de soi. Toutes choses auxquelles je ne pouvais souscrire sans un minimum de garanties.

 Est-ce que ça vaut le coup d’aimer pour trois ans, d’emménager pour un an ? D’écrire sans immortalité ?

 Dehors, dans la nuit glacée, on entendait les branches craquer sous la force du gel. Quelques passants égarés cherchaient leur chemin dans la neige. Piotr m’avait rejoint dans la cuisine, il préparait des gambas et les flambait au whisky. Dans la douce chaleur des flammes, je réalisai que j’hébergeais un poulpe qui faisait merveilleusement la cuisine et qu’un excellent livre m’attendait sur ma table de nuit. Subitement je n’eus plus besoin de certitude. La soirée me parut éphémère et délicieuse comme un souvenir.

 

 

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Plaisir lecteur, Marguerite Duras, Charles Dantzig et Onysos le furieux

6 Décembre 2010, 22:03pm

Publié par Sybille de Bollardiere

 

Piotr-hollandais.JPG 

La neige avait fondu et Piotr lisait dans la lumière tamisée d’un matin de décembre. Sa pause calme et résignée devant le lourd rideau de velours bleu qui masquait à demi le paysage, donnait au tableau l’atmosphère d’un Vermeer. Le regardant lire et souffrir en silence, je songeai que l’art est dans nos vies pour y apporter de douloureuses extases. Il en est de même pour le plaisir lecteur. Contrairement aux livres d’images ou aux atlas dont on peut suivre distraitement les lignes et les courbes, certains livres vous entrainent dans les profondeurs. Les mots, ceux d’un autre surtout, ont le pouvoir de plonger sous la vague, direct au cœur…

« Ce que je ne savais pas c’est que à son meilleur, elle peut être comme une vague qui a l’air de rouler les mêmes cailloux et, en réalité, en ramène un de très loin »

Piotr ne le savait pas non plus en lisant Ludmilla, pas plus que Charles Dantzig en écrivant ces lignes à propos de Marguerite Duras.

Le plaisir lecteur est un plaisir jaloux et même si l’on a pour habitude, ce qui est généralement mon cas, de lire la plume à la main (comme une arme prête à dégainer pour la riposte) on ne peut se défaire de ces haïssables instants de séduction qui nous renvoient à nos faiblesses. Ah que donnerions-nous parfois pour être l’auteur de ce bon mot ou de ce balancement adroit que l’on aurait tant aimé faire sien pour envelopper… Quoi ? Ce rien justement qui fait qu’on lit plutôt qu’on écrit pour meubler l’attente, le vide, la peur aussi. Ce rien qui pousse certains à manger, dessiner, boire, baiser ou jardiner… Que sais-je encore ? La liste des choses à faire pour ne pas écrire quand on n’en a plus le talent ou que l’on s’en ressent dépossédé est sans limite.

 

 Plaisir lecteur dévastateur quand il prolonge l’attente et que l’on en vient à chercher l’auteur entre ses lignes comme un Castor qui retrouverait son Pollux.

 

Piotr referma le livre et se tourna vers la fenêtre en soupirant.

- Cherbourg est sous les eaux, c’est épouvantable...

J’eus beau lui expliquer que Ludmilla habitait en hauteur et ne risquait rien dans son village éloigné de la côte, Piotr resta sombre. Il avait lu de la poésie en y cherchant les signes d’un amour tangible alors, pour le réconforter, je lui proposai de lui faire la lecture et il accepta.

Cherchant un viatique pour un cœur malheureux, je tombai sur un opuscule que j’avais bien aimé en son temps : Onysos le furieux de Laurent Gaudé Actes Sud 2002,  47 pages

Quand je terminai la lecture des dernières lignes… « Je me pencherai sur lui avant qu’il ne meure, je prononcerai son nom à voix basse et je lui dirai qu’Onysos  est là, qui le connaît et le voit disparaître. » Piotr dormait et ragaillardie, j’allai écrire ces quelques lignes.

 

 

 

 

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Le Poulpe amoureux et la force des mots

1 Décembre 2010, 22:20pm

Publié par Sybille de Bollardiere

 

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Nous roulions sur une route déserte, Piotr avait froid et restait silencieux. Il avait bien essayé de me proposer un détour par le village de Ludmila K. mais j’avais refusé. Elle lui manquait … Je le compris très vite après le départ de la jeune femme en découvrant dans la chambre de Piotr, son manuscrit annoté de ses regrets de poulpe mais déjà investi de l’espoir de la revoir.

 

Il aimait et même s’il n’était pas capable de mettre un nom sur l’étrange sentiment qui l’envahissait, c’était bien d’amour et qui plus est, d’un amour très humain dont il était la proie. Piotr eut beau se défendre en évoquant l’immatérialité de cette sensation unique qui ne devait rien au désir charnel. (En tant que poulpe, comment aurait-il pu ?) Alors que nous traversions les forêts enneigées de l’Ouest, ses mots me devinrent indispensables. Avec minutie et précision il me décrivit cette nouvelle projection de lui-même. « Comprends-moi » me disait-il, « Maintenant je n’ai plus peur de vivre et le sens de mon voyage m’apparait. Cette rencontre a donné du sens à ma vie non seulement présente, mais future et même » et c’est ce qui l’étonnait le plus, « passée ». Oui, ajouta- t-il, « tout est devenu simple, c’est un peu comme si j’étais grâce à Ludmila,  immortel ».

 

Piotr soupira et je laissai le silence s’installer. C’était à moi de retrouver les images du passé, Yoshka refit surface. Pour nous protéger nous avions fait du désastre amoureux un véritable art de vivre. Il nous offrit parfois de belles pages, le plus souvent des joutes oratoires qui nous laissaient éreintés et vaincus au seuil de nos solitudes. Avec le temps et le silence, je commençais à le réinstaller dans ses qualités.

 

Piotr quant à lui, était venu d’un autre monde soigner un mal de vivre qu’il avait longtemps pris pour un amour malheureux et puis il y avait eu les livres, la poésie et enfin Ludmila K.…

 

Une bourrasque de neige traversa la route, Piotr se redressa, glissa une tentacule sur mon épaule et ajouta comme si notre conversation n’avait pas été interrompue :

- Tu vois, je crois que si je ne devais pas la revoir cela n’aurait pas tellement d’importance. Il me semble que cette rencontre nous a offert le meilleur de nous-mêmes et l’avenir de ce que nous avons à écrire.

Oui Piotr écrivait déjà, non pas ses mots, mais les nôtres, tous ceux qu’il lisait, qu’il épiait dans ce qui était devenu sa terre d’accueil : notre langue.

 

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