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Sybille de Bollardière

L'Orange de Mars 9 - Quand il est encore temps de fuir...

, 20:08pm

 

th_fond.jpgDe Malcom à Savannah  

Objet: du blanc et de tout autre chose, mais ça n'a rien à voir

Date: mercredi 19 mars 2003 19:23

 

Bonsoir Savannah,

En un coin de rue parisien, en une certaine heure et pour les indifférents il n'y aura que le flux quotidien concentré. En ce même coin de rue parisien, en une certaine heure et pour les impétrants il y aura la peur bleue des regards surpris. Il y aura du bitume, des murs, du bruit, des piétons, la lumière sera imprécise. Sur ce trottoir écorné le vacarme du temps sera assourdissant pour nous, surgissant d'une cité numérique. Savannah, nous allons nous matérialiser, c'est sidérant.

Le blanc est russe. Le blanc est petit, aux colonies. Le blanc est aristocrate, sage, simple, discret. Le blanc est innocent mais liturgique. Le blanc est modestie, le blanc est neutre. Le blanc est élégant, angélique, frais. Le blanc est heureux. Puis le blanc est cassé. Métissé pour éprouver sa résistance. Et si le blanc-cassis est sorti des mannes d'un illustre chanoine il ne faut pas le croire rompu. Le blanc ne rompt jamais.

Soyons fantaisiste Savannah, engouffrons-nous dans la réalité. Et émergeons du brouillard blanc de nos écrans. Du diable si nous n'en rions pas-après-pas-sans-les-compter avant longtemps.

Sourire-de-dix-neuf heures-quinze-un-mercredi-19-mars-2003

Malcom

 

De Savanah à Malcom

19 mars 2003

 

Malcom

Blanc, Malcom je disais : blanc comme un chagrin de fin du monde et aussi blancs comme les soleils d'hiver comme ceux de la steppe quand les vents décornent les troupeaux qui vont de Mongolie vers d'improbables pâturages... A l'Ouest. C'est un si long voyage L'Ouest, une fascination ou plutôt une pérégrination.

Je suis née il y a quelques cent cinquante années dans un triangle étroit du Kirghizstan, mais rassurez-vous, pour mon âge, je suis assez bien conservée. Si je rencontrais un jour le fauve sibérien qui hante mes mémoires mythomanes je lui avouerais que j'aime Celan, Maïakovski, Mandelstam, Pasternak, Gorki, Tourgueniev mais aussi les bouleaux, les pays sous le deuil de l'arbre, la démesure et le silence sifflant des espaces infinis.

Je lui avouerais aussi  que je connais un endroit près du Baïkal où l'on m'attend depuis longtemps. Le Baïkal, en été pour les phoques et au Printemps pour les incroyables tempêtes, en hiver pour ne jamais sortir et vivre de ses provisions de mots et d'images sous une peau de bête (malodorante cela va de soit- une sauvage, vous disais-je !) Je n'ai jamais été loin dans l'Est depuis cette très ancienne naissance. Je n'ai pas de rides mais des fleuves qui me traversent de part en part et m'emportent dans l'histoire des hommes : le Congo, le Nil, le Rhin l'Amour et aussi le Yang Tsé Kiang et puis il y a les fleuves marins, ceux qui m'entraînent vers les abysses : le Labrador, le Kuro Shivo, Le Benguela.  Si j'ai bu aux sources du Nil, nagé dans le Congo, et rêvé sur le Rhin de la Lorelei, je n'ai pas été bien loin.

Le reste est de mémoire...

Et maintenant vous allez devoir m'appeler tout de suite pour me dire que vous n'annulez pas le rendez-vous !

Savannah

 

19 mars 2003

 De Malcom à Savannah

Objet: Pour mémoire

Date: jeudi 20 mars 2003 13:02

 

Savannah,

Je vous pressentais épique, je me suis brûlé au fil de vos lignes. J'ai couru, le vent effaçait mon haleine. Dans cette mémoire fluviale j'ai vu en miroir les shamans fumants, les divinations sont en ondes concentriques. La steppe sifflante, le bois bruissant, la plaine odorante, d'un bond j'ai franchi tout cela. Je suis à Paris-de-toute-les-géographies. Notre matérialité est naissante, nous sommes à venir et réciproque.'

Malcom

 

De Savannah à Malcom

20 mars 14 heures

Je vous ai entendu. Penchée sur mes fax, budgets et autres joyeusetés je suis redevenue calme, livrée corps et âme à mon travail. Petit répit pour la fièvre épique ! Dans la rue où ne circulent plus que les piétons je guette la foule annoncée... Dans les bureaux la rumeur est autre : la bourse remonte, les investisseurs aiment les guerres qui commencent à l'heure ! C'est peut-être le seul point commun que j'ai avec eux : je suis ponctuelle. Je ne vous l'ai pas dit mais votre voix est d'excellente compagnie dans l'attente. A tout à l'heure.

Savannah

 Le vingt mars à dix neuf heures, Savannah se glissa dans la nef de l’Eglise Saint Roch, elle  y alluma deux cierges avant de rejoindre les jardins du Palais Royal. Tandis que ses vœux partaient en fumée, elle avançait d’un pas ferme, la bouche sèche et déjà convaincue que ce rendez-vous devenu inévitable n’était pas forcément une bonne idée mais il était trop tard pour fuir. D’ailleurs Malcom qui avait le privilège de l’avoir vue en photo la suivait peut-être depuis un moment sans qu’elle le sache. Brusquement, en traversant la rue du Marché Saint Honoré, elle se retourna et le vit. L’espace d’un instant leurs regards se croisèrent. Elle en était certaine c’était lui. Son sang se glaça mais elle préféra reprendre sa marche vers le lieu prévu pour le rendez-vous. « Il y a des bancs », pensa t’elle, je pourrais m’asseoir... Pas une seconde elle n’imagina se retourner à nouveau pour vérifier que l’inconnu à l’étrange regard la suivait toujours…

 (A suivre).c