Jour de pluie
Janvier, cette façon qu’a la nuit de déborder sur le jour, d’étaler ses couleurs de plomb sur un paysage enfin dompté. Plus rien ne bouge sur l’horizon balafré des pluies. Café, stylo, son frottement sur la page tandis que l’œil s’égare sur l’écran. Les bénéfices d’Apple, prise d’otage à Sydney, le fantôme d’EL à Tripoli… Les pensées filent sur la nappe, dérapent sur un mot : La Lybie et soudain je revois Béninah par le hublot dans le soleil de juillet. Béninah en 1971, c’est juste un bout de désert qui plonge dans la Méditerranée. Le charter Gatwick-Mahébourg s’est posé sur le tarmac en cette fin de matinée d’été. Plus de 40° à l’ombre mais voilà de l’ombre il n’y en a pas et la climatisation est coupée le temps du ravitaillement. Les officiels de l’aéroport ont déclaré : « Seuls les blancs peuvent débarquer » les autres, c'est-à-dire plus de 80% des passagers, sont des mauriciens qui rentrent au pays pour les vacances. L’équipage et les quelques européens dont je fais partie, ne descendront pas. Solidarité dans la fournaise, inquiétude muette pour écouter les hurlements des enfants et puis j’ai tout oublié, attendu comme un légume que l’enfer s’étire dans la carlingue surchauffée. On a décollé dans un silence de plomb, abusé des ventilations jusqu’à Entebbe, deuxième station, terre promise au bord du lac Victoria où on nous a offert de l’eau et une improbable douche. C’est ce jour-là que j’ai vu les neiges du Kilimandjaro. Le soir à Mahébourg il avait plu. La foule courait vers les passagers, je me souviens d’une robe jaune comme une fleur que je suivais des yeux.
Béninah et Entebbe sont deux cauchemars englués dans le souvenir de leurs dictateurs et pour les neiges du Kilimandjaro le pronostic n’est pas terrible non plus mais il y a surement quelque chose de bien dans cette foutue journée de pluie. J'y retourne.