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Sybille de Bollardière

L'Orange de Mars 17 - Concerto Bleu marine

, 20:47pm


Je me souviens de ce mois d’avril justement parce que Savannah ne prenait plus le temps de nos déjeuners hebdomadaires. C’est à peine si nous bavardions au téléphone, chaque conversation était systématiquement écourtée par un « Je te rappelle» et elle ne rappelait jamais… Sauf un soir où, avant de raccrocher, elle me proposa de passer boire un verre. Elle m’attendait avec une mine sombre et soupira quand je lui demandai des nouvelles de « l’affaire Malcom :

  -  Bof… Je suis un peu découragée parfois j’aimerais n’avoir à gérer qu’une simple affaire de cul…

 

Elle s'était assise face à moi et me regardait le plus sérieusement du monde. «  Oui, continua t’elle, figure toi que je suis lasse d’écrire, lasse de ces aller retour de mails chronophages qui nous enferment dans le virtuel mais, en même temps… Elle s’était relevée pour allumer une cigarette à la flamme d’une bougie.  « Oui, je te disais… En même temps, je crois qu’il faut que j’aille jusqu’au bout… » ....

- Rien ne t’y oblige  !


Elle avait protesté, évoquant ses sentiments et sa volonté de « construire enfin quelque chose » mais  notre conversation me laissa une impression de malaise qui s’amplifia quand, rentrée chez moi, je réalisai que Savannah ne m’avait faite venir que pour évaluer sa relation à la lumière de mes propres doutes. Car parfois il m’arrivait de douter de l’existence même de Malcom… Existait –il vraiment ou n’était-ce qu’un personnage fantasmé ou rêvé ?

 

De: 'Savannah.' .À: 'Malcom.'

Objet: des hauts et des bas

Date: lundi 21 avril 2003 23:09

 

Malcom,

 

Que c'est-il passé ce soir ? Je vous ai senti inquiet. Je ne sais pas au juste, mais il m'a semblé que quelque chose n'allait pas. Peut-être est ce la faute de ces appels un peu précipités d'une gare 'ma voix impérieuse' ma précipitation qui se voulait tendre aurait-elle fait quelques dégâts ?

 

Je viens de lire vos mots et soudain je regrette ce tu, cette intimité dont nous étions si proches et que le temps, ce maudit temps nous a repris pour nous jeter dans nos contraintes multiples. Rien n'est perdu je le sais, le vous est revenu comme pour redonner du souffle à l'attente, à cet entre-deux où nous nous devons à notre sacro-saint travail. Je garde le tu pour l'utiliser dès que nous nous envolerons vers quelque verdure digne de confiance.

 

Vous m'avez manqué, mais ce serait mentir que de ne pas avouer que notre correspondance et cette intimité nouvelle n'est pas si simple pour moi. Des hauts et des bas, voilà ce dont il est question, avec les multiples interrogations que sème la distance. Parfois c'est un ton de voix que l'on ne reconnait pas, ou moi-même entre 'mes vies' et le voeu que j'ai de vivre autrement.

 

Je t'embrasse 

 

Savannah.

 

De: 'Malcom.' À: 'Savannah.' .

Objet: Tolède

Date: mercredi 23 avril 2003 10:33

 

Et je brûlerai ma vie sans t'espérer ? Non, il n'est plus temps de calculer, de recenser, de compter. Je t'aime. Si des nécessités se font jour c'est qu'il y a des engagements qui ne peuvent être des renoncements. Mais l'espoir des instants partagés offre toutes les audaces et Chronos est joué qui nous vole.

 

Tu me parles de ciel avec ascenseur et d'extases sous posologie à ne pas dépasser, ah Savannah ne soit pas scélérate et pense que l'émotion masculine est des plus imprévisibles. Je crois qu'il n'est question que de cette prévisibilité, sous toutes ses formes. J'ai peu de certitudes, mais chevillé à l'âme, l'espoir. Tout simplement. Un triomphe qui ne sera peut-être jamais. Qu'importe.

 

Je suis à tes côtés, et je t'embrasse.

 

Malcom.

 

From: Savannah. To: Malcom.@hotmail.com

Sent: Wednesday, April 23, 2003 3:35 PM.

Subject: L'Annapurna....

 

Malcom.

J'ai reçu ton mail 'Tolède', je te répondrai ce soir, mais si tu as envie de m'appeler, n'hésites pas, je t'embrasse.

Savannah

 

De: 'Savannah.' .À: 'Malcom.'

Objet: Concerto bleu marine

Date: mercredi 23 avril 2003 22:34

 

La nuit descend et insidieusement j'épouse son ombre, glissant 'andante' sur la mélodie du concerto 21 de Mozart. Si tu étais là, je prendrais ta main et je choisirais le silence, tu verrais dans mes yeux ce que voient les grands poissons noirs qui descendent vers les abimes. Un monde bleu marine où le silence vous oppresse les ouïes. Nul oiseau dans mon espace ce soir, un jardin muet, engourdi comme au plus profond des nuits d'hiver.

 

Et puis tu me dirais - un peu triste peut-être que je ne parle pas de toi, de ta lettre - 'que tout va s'arranger' alors, après un profond soupir je m'endormirais sur ton épaule et toi tu n'oserais pas bouger tout en pensant 'quand même elle exagère !' Moi je rêverais. 

 

Nous marchons dans la rosée brumeuse d'une herbe rase, le ciel est laiteux, bleui par endroit. Quand j'aperçois la lueur orange qui monte de la mer, je sais enfin que c'est maintenant le moment que j'attendais. Ce disque en feu qui enflamme l'horizon c'est Orphée remontant des enfers. C'est aussi le matin de Grieg quand je quitte ma nuit noire et blanche et que les mouettes viennent nous saluer ; alors je me retourne pour vérifier que tu es là, un peu étonnée que tu puisses me suivre dans mon rêve. Tu ne dis rien, dialoguant avec toi-même, tu guette mon sourire et ces mots que tu connais déjà, tu les lis sur mes lèvres plus que tu ne les entends quand le vent se lève emportant mon 'je t'aime' au jour qui s'annonce.

 

Je t'embrasse tendrement.

Savannah

 

..Penchés sur l'espace d'un amour qu'il rêvaient de vivre, l'un et l'autre hors du temps tout en croyant le précipiter, ils se donnaient des "je t'aime" comme on prononce un césame pour découvrir un monde nouveau.....

 

à suivre..