Telle qu'elle était, gravide et nue
Il pleut depuis des lunes
Invisible dans la nuit d’encre
Tout le continent défile
Contre ma barque délestée de ses rêves
Souillure des berges où l’ingérence des eaux emporte
Jardins - étoffes - nuages
Et des éclats d’îles dans la nuit
Comme des corps chavirés
Vers le sommeil du delta
Absence de signe autre
Que le bleu écaillé du ciel
Et le grand tourment du soleil
Dans l’enchevêtrement des pluies
Un feu dessine un temple
Dans les mailles d’une mangrove
Et je la vois Elle, dans le jeu des flammes
Telle qu’elle était
Avant que le monde ne l’habille
Remontant le Nil et les cataractes
Du Soudan aux vallées kenyanes
Telle qu’elle était, gravide et nue
Depuis les premières collines de l’Est
Jusqu’au commencement de l’eau.
L’altérée
Comme une stèle noire sur la rive
Tissant l’homme à venir
Avec du jonc de l’écume et du feu.
Plus bas au seuil de la nuit qui rougit l’échine des falaises
Le fleuve emporte son cri dans la plainte des rapides
Une nouvelle lune m’accompagne
Sur le miroir des eaux.
Extrait - L'altérée - Poèmes du Djoué