L'Orange de Mars 4 - L'orange nue
Poursuivre la publication des lettres de Malcom et Savannah n'est pas forcément la chose la plus importante à faire, mais voyez vous aujourd'hui l'Orange est nue.
Mon ami est malade, mon petit chat est mort et l'automne est vraiment là. Alors je me suis penchée à nouveau sur la fine écriture de Malcom quand il écrivait ses premières lettres à Savannah en cette mi-mars 2003. A cette époque il habitait une île en pleine ville, un paté d'immeuble cerné par le mouvement des autres et sa propre immobilité. On parlait de l'imminence d'une guerre.
De Malcom à Savannah,13 mars 2003, 20 heures.
Bonsoir Savannah,
Me voici dans les points d’interrogation, toujours insupportablement curieux et ennuyeux ces points d’interrogation. Il y a de la passion qui surgit dans vos mots, Savannah, mais elle est en suspens et se laisse agréablement deviner avec ses trois-petits-points-qui-toujours-se-suivent. Vous l’aurez compris, les mots me tiennent lieu de champ de bataille, de champ de foire et de champ communal, j’y accueille volontiers le sourire pour dresser un mât de cocagne et je l’entretien, chichement, de quelques larmes. Quant à ce blanc de la page il est aussi celui du silence et du brouillard, il est heureux de pouvoir les dissiper l’un et l’autre. Ou d’en recueillir le scintillement et l’illumination, ce blanc polaire ou saharien selon sa géographie, sa latitude. Avez-vous remarqué Savannah, comme la nuit est jaune à Paris ? Très bonne soirée.
Malcolm
De Savannah à Malcom, 13 mars 2003, 23 heures
Je suis un peu épuisée mais je vous lis avec plaisir, devine grâce à vos mots semés comme un viatique pour je ne sais quel poucet, un virtuose de la plume ce qui n'est pas sans sous-entendre une vie à l'ombre quelque part sous un toit. Non je rêve, cela n'existe plus les poètes maudits et puis ils ne parlent que d'eux-mêmes et de chagrin de vivre qu'ils portent en écharpe.
Et vous, à quoi ressemblez-vous ? Au merle persifleur ? J'aime les oiseaux et je me vois selon les humeurs : fou de bassan en amour, mouette pour la liberté, corneille pour l'étude et ce soir colombe parce que rien ne me tient plus à cœur que ce beau printemps que nous promet avril, un printemps de paix bien sûr ! Ce soir dans cette atmosphère de poudre que l'on nous souffle de partout, je suis dans Troie assiégée et j'aime Hector et Achille mais aussi Ajax et tous ces hommes ivres de courage et de bêtise.
A bientôt, si le coeur vous en dit.
Savannah.
De Malcom à Savannah, 14 mars 2003, 19 heures
Savannah, soyons cru, l’angoisse de l’artiste m’emmerde puissamment. Tôt ou tard il faut lever le voile et ne pas épuiser inutilement les charmes anonymes du numérique. Le sourcil épais, l’œil large, le cil noir et l’épaule charnue de qui a grand ouvert les bras dans les eaux et s’est essayé aux frottements d’épidermes en ovalie. Le pas rebondi et le bonheur bien chaussé à l’esprit, je tiens la chaussure pour essentiel dans la composition masculine, je ne dépare pas sur l’asphalte urbain, le gris a ses tonalités qu’il faut savoir décliner. Le cheveu court et châtain pour pratiquer le plus simplement l’exposition aux intempéries, le rasage quotidien pour cérémonie. Vous lire est charmant et vous avez la grâce d’en user avec bonheur. Si je trousse ce compliment c’est en toute sincérité et essentiellement pour vous donner à penser qu’un sourire n’est pas éloigné. Vous ne jacassez pas et la pie peut avoir bien des avantages à être observée. Je lui trouve cependant une certaine cruauté à l’oreille, et je la vois moins en frac qu’en livrée de brasserie gouailleuse et impertinente. Je suis tout de désordres mais avec rigueur. Et je vous souris, Savannah. Bonne nuit.
Malcom
De Savannah à Malcom, 14 mars 2003, 21 heures 50
Ah mais bon sang je vous adore même si je pense sérieusement que vous abusez de la page. Il y a du jeu en vous, je décèle derrière vos mots comme un échange de fleurets qui n'aurait pas de fin. Je n'ai pas dit touché ! Ni coulé non plus Je souris béate devant l'offensive que je vais de ce pas par un adroit tour de "copier-coller" consigner dans d'autres fichier que je relirai ma foi, quand je serai vieille, au coin du feu peut-être, encore que je n'en sois pas si sûre il y a d'autres projets, des déroutes annoncées quelque part en Chine ou ailleurs. Maintenant ça suffit Malcom ! Savez-vous que les fenêtres du net sont piégées ? On peut sans y prendre garde s'aimer d'un reflet mortel et je vous perdrai alors. Il n'en est pas question ! Faites- moi la grâce d'une chose toute simple : votre voix tout simplement. Vous me parlerez des oiseaux et de ce que vous aimez et si j'ai beaucoup de chance vous me ferez la lecture, je sens que vous êtes de ceux-là. Il y a des textes que l'on ne connaît que comme cela ; A jamais ils demeurent marqués par la voix qui vous les a offerts.
J'ai l'immense honneur et l'outrecuidance de vous proposer de m'appeler.
Suivait le simple numéro de portable de Savannah, sans aucune autre indication ni adresse. Afin de préserver son anonymat, elle prit la précaution de transformer son message d’absence. Savannah devenait Savannah pour le meilleur et jusqu’au pire.