Soirée de Lancement du livre "Le dernier voyage du Lancastria" par l'Alduna, collectif de l'atelier de la Passagère le samedi 28 octobre 2017 Galerie Rouges en verts à Soligny la Trappe
Les lectures d'extrait du livre "le dernier voyage du Lancastria"
Le spectacle d'Alyse Pilloix
Alyse Pilloix
Ce matin à 7 heures, le silence de la nuit d’octobre rythmé par les vagues de la marée montante. Concarneau un dimanche, lendemain de Fest Noz.
Nous voulions écouter de la musique celtique. Sur le port on nous avait dit : « venez ce soir on en mettra un peu enfin, pas trop, ici on est plus années 80 » et puis l’info est tombée sur mon smartphone : Fest Noz au CAC, la salle de Concarneau.
20 h 15, la salle était encore calme, quelques groupes - des jeunes pour la plupart- se pressaient près du bar, d’autres se jetaient sur les quelques chaises alignées le long du mur. Sur la scène, un flûtiste et une cornemuse commençaient leurs réglages. Au milieu, immense, le sol de la salle comme une scène déserte que personne n’osait fouler. Et puis ils sont arrivés, régulièrement, par deux, par quatre, des familles entières, des amis, des collègues, des vieux, des jeunes, quelques enfants, des cadres, des retraités, des tatoués, des chevelus, des chauves, venus de Quimper, de Pont l’Abbé et de la Cornouaille toute entière. La chanteuse a entamé son couplet en breton et je les ai vu se faufiler tout autour de la salle, des femmes surtout, elles se donnaient la main. Après le dernier couplet, la chanteuse a annoncé les gavottes et là, il n’y avait plus que nous assis contre le mur, ébahis devant cette chaîne humaine lancée dans la ronde hachée, obsédante, des petits pas bretons. Le son était infect et la musique incroyablement répétitive mais la magie était là. Trois heures plus tard, nous y étions encore le Frison et moi, les tympans en vrac mais au milieu des musiciens* et de la foule, fascinés et émus, heureux d’être là et malheureux de ne pas en être, de ce pays là où les hommes et les femmes dansent des nuits entières en se donnant la main. Tellement fiers, tellement souriants jusque dans les toilettes quand je me suis retrouvée avec les femmes venues se rafraîchir après une « scotiche » endiablée…
« Et vous le Brexit ça ne vous gênes pas ? m’ont-elles demandé. Le frison et moi ne sommes pas anglais mais pour eux, de toute manière des étrangers et la frontière n’est pas très loin, bien avant le Mont Saint Michel et le cours du Couesnon** « Vous parlez bien le français pour des hollandais ! » Oui surtout moi ! « Et puis c’est rare de venir de Normandie pour nous voir. Au fait, est-ce que c’est joli la Normandie ? »
Oui c'est joli la Normandie, la Bretagne, la France et à vrai dire tout est joli quand on voyage plume au vent mais la question n'est pas là. Hier soir à Concarneau c'était tout sauf du folklore, une histoire de vie, d'appartenance, de fraternité mais ce matin, je me console en me disant que la route est belle aussi.
* Bagad Quimper - Bodénès- Hamon Quintet - Bagad Penhars
** « Qui dans sa folie, mit le mont en Normandie »
Un mois chaud avec des vents de terre et des voiles grand largue vers les îles. J’énumère les écueils et soudain c’est la voix des nuits de Norroy que j’entends quand enfant, et dormant dans sa chambre, elle ouvrait la fenêtre pour me faire aimer les nuits d’été. Le Haumet, Les Jardins, La Conchée… Ici, il y a toujours une saison qui m’attend jusqu’à celle, ultime, dont j’ignore le nom.
Sur la route de la Liberté, remonter le Cotentin en caravane sous le moutonnement du ciel. Suite de villages où les piétons traversent sans un regard, comme impatients de mourir dans leur bon droit.
Barfleur, vent de Surroy. La houle est lourde, épaisse quand elle se brise sur les rochers. Un temps à maquereaux ! Sur le port, les pêcheurs nettoient leurs filets dans la lumière de l’est. Certains vendent leur pêche : coquilles saint Jacques à 5 euros le kilo, aile de raie, maquereaux… Oui ils sont bien là.
Escale de granit à Vitré. Solitude intérieure face à la douceur d’une nuit à l’ombre des arbres. Insomnie sous l’opacité du ciel. Non loin, un chien veille gueule ouverte sur mes peurs et le ciel qui bleuit. Immobile, je le regarde. Cinq heures, la conscience vacille dans le froissement des draps. La voici enfin l’ataraxie du sage, Tout à l’heure est un autre jour et nous repartons plus loin.
En bateau
Dinan. L’entaille de la ville dans le vert des forêts, un matin frais et silencieux et soudain la brume et l’effacement des rives. Plus loin, ciel bleu sous un lavis de nuages, fleurs ouvrières au fil de l’eau, soulevées par la vague qui nous porte. Et enfin l’ombre noire de la rive. Sous la discrétion d’un saule, le bouillonnement d’un égout.
Manche océan. Sous la garde d’un cormoran, épave verte, les frondaisons se reflètent sur la moire des eaux. Au sud, des murets de pierres roses surmontées de grilles où la valériane épouse le lierre. Quelques pins se détachent sur le ciel, un épicéa et puis là, ce palmier qui annonce un jardin. Plus bas, maison de pierre à fenêtres étroites. Une longue haie de buis longe le canal, croisant cette voie romaine qui se perd sous les arbres. Le bateau remonte vers le nord entre l’envasement et ma mauvaise humeur. Guettant la brise du large et la prochaine écluse, je rêve de haute mer et de silence.
Terschelling, Waddenzee, îles de la Frise. L’immensité. Sous le ciel anthracite, la mer rugissante, invisible derrière l’écran des dunes. Sur la grève au sable incroyablement doux, des débris de tourbe et des éclats de bois fossiles des anciennes forêts. Elles sont au loin, sous la mer, bien au-delà des îles.
En train
Au Pays-Bas, entre Groningen et Zwolle, toutes fenêtres fermées, climatisation oblige. J’imagine l’odeur des champs à perte de vue : blé court, avoine, orge, pomme de terre et quelques rares pâturages. Ni oies ni cigognes comme à Zuidlaren, le chemin de fer traverse un paysage monotone partagé entre les cultures, les futaies de saules et de sureaux. Dans la fuite du paysage, je cherche un étang, un fleuve. Toujours en attente de l’eau, je ne voyage que pour l’apercevoir, m’en approcher, la toucher enfin.
Ou peut-être ai-je encore quelque chose à oublier ?