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Sybille de Bollardière
Autrice de romans, chroniques et poèmes. Atelier d'écriture en ligne et en présentiel, photos.
Dimanche d'avril
Dans l'enchevêtrement des bois, la multitude des chants d'oiseaux et comme un point sur les i, le bruit saccadé du pivert allant d'un tronc à l'autre dans sa frénésie printannière. Marée montante et avec elle, l'odeur de vase et d'ennui d'un dimanche gris. Paysage en demi-deuil où l'eau monte sourde jusqu'aux limites de l'estran. Sur le granit sombre des rochers, le varech noir et plus haut, des lichens jaunes et blancs surmontés de buissons de genêts. C'est une baie bretonne sous les bois de l'hiver et le charnier des tempêtes – amoncellement de bois flottés, de troncs lacérés en témoignage des combats – aujourd'hui vent de sud-ouest, une pluie annoncée sur mon ailleurs à la petite semaine.
L'ailleurs est parfois au bout du jardin, de la rue, de l'autre côté de l'estuaire ou simplement sur l'autre rive avec ces voiliers qui en reviennent avant d'affaler leur toile. Ce matin, mon ailleurs n'est qu'un horizon, fine ligne d'ardoise qui souligne l'opale de la mer ou celui du ciel, je ne sais plus et ça n'a pas d'importance, c'est ici que je me perds. Dans l'attente, le reflet, les mots, l'impuissance comme ces collecteurs d'eaux usées qui pendent entre racines et roches laissant couler à fleur de terre la vendange de l'hiver.
En marge 7 - Quelque chose d'oublié
La suite des petits carnets (2014- 2015) en marge de l'écriture du roman.
Filmer les meurtres comme des histoires d'amour et les histoires d'amour comme des meutres. Alfred Hitchcock
J'écris caméra à l'épaule, entre dans les pièces en balayant l'espace. Il doit bien y avoir quelque chose d'oublié dans un coin, un détail qui expliquerait tout. Ecrire modifie mes souvenirs, ma mémoire. Mon père, mes frères ressemblent de plus en plus à ceux du «Défaut des origines» quant à mon grand père il est devenu Lucien l'homme du Loir et Loire d'«Une femme d'argile».
Quant aux lieux ils n'existent plus que dans mes souvenirs. Qui se rappelle qu'avant la Porte Maillot il y avait les fortifications, la fête de la bière et parfois Jean Sunny et ses spectacles de voitures sur deux roues. J'aimais la rue, son odeur de métal et d'urine quand j'allais rue du Débarcadère vers l'ancienne Gare. La rue, les putes du quartier d'Argentine à Maillot, les pissotières, les «soupeurs», le temple de l'Etoile, le cinéma Obligado, les accéssoires automobile, SKF, les cracheurs de feu, les briseurs de chaînes, la visite de Kroutchev, mes robes à smocks. Leurs premiers vols, la carte à tamponner à l'église et dans le square, cet arabe qui voulait juste parler à un enfant. Je revois ses yeux avant qu'on ne le chasse. Je chantais sur une table drappée dans une nappe, je voulais juste être Edith Piaf.
J'ai fuis ma famille comme on fuit un pays en guerre.
Je suis un animal à coquille avec sa maison sur son dos. L'énumération des événements, le recensement des lieux me rassurent. Les événements revus, photographiés pour fonder sa propre histoire et encadrer sa vie extérieure. Et puis il y a l'intérieur, les Alassy dont la rue Brunel est le pendant diurne. Paris une ville dont je me défais comme les platanes de leur peau. Impression tenace que j'appartiens à un ailleurs comme mes enfants ont toujours fait partie de ma vie. Il me semble que je les portais déjà en moi et qu'ils sont au fond la raison de ma fuite et de ma survie.
En marge 6 - Le Svalbard