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Sybille de Bollardière

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Enfances

15 Décembre 2012, 10:51am

Publié par Sybille de Bollardiere

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Mon enfance est un jardin, une maison, un ciel à l’ouest, une pierre aussi. De la  meulière des murs où vivait une tribu.

J’ai été quelques années l’unique enfant d’une généalogie compliquée et affectueuse. Ce que je percevais du monde m’arrivait tamisé par douceur élimée d’un velours rouge sombre qui tapissait les parois de la pièce où je dormais et que l’on n’appelait pas autrement que la chambre du second. Mon enfance est une langue, des intonations. Chez nous les femmes qui comptaient parlaient à voix basse, marchaient dans une précipitation discrète vers un but sans cesse repoussé. Vertige de l’excellence d’un peu jamais satisfait, ceux et celles qui donnaient de la voix s’avouaient vaincus. Mon enfance est impitoyable pour les tapageurs, la vulgarité et même l’ordinaire, le tout venant, la rue, les autres.

La vie familiale, parcimonieuse et tendre se partageait entre les étages d’une demeure bien ordinaire pour les prétentions qui l’habitaient. Mais peu importe, j’aimais cette vilaine maison de coin de rue et sa façade aveugle sur le jardin au nord. Il n’y avait qu’une seule ouverture, dans mes souvenirs, béante au rez-de-chaussée : la cave. Etrange forge, interdite à l’enfant que j’étais, où les hommes de la maison avaient le devoir de surveiller feu et de le recharger en charbon. L’endroit était sombre, encombré de bassines utilisées dès les beaux jours pour d’immenses lessives qui débordaient sur le jardin. Mon enfance est une odeur de perborate de soude pour blanchir le linge, de confiture de cassis, de purée de châtaignes, de bœuf mode que l’on laissait prendre en gelée pour le lendemain.

C’était une enfance économe, on ne gaspillait rien, ni l’eau, ni le savon, ni la lumière. Frileuse et endurante simultanément si je repense aux injonctions familiales : « sortir du bain avant qu’il ne tiédisse et que je ne prenne froid » et, tout de suite après on pouvait m’assener par la porte entre ouverte du jardin que « Même quand il gèle on n’a pas froid dehors quand on est bien couvert, il suffit de courir… » Courir… Quelle idée stupide !

Je n’avais jamais le droit de me salir mais j’ai pris quelques risques pour explorer du jardin ces recoins sombres où se retranchait une vie différente qui sentait le moisi et les champignons. Il y avait adossée au mur, une cabane où l’on conservait les pommes, les bicyclettes, quelques transats sous les cordes à linge ; je caressais l’espoir d’y voir élever des lapins et redoutais plus que tout cette bave d’escargot qui recouvrait de sa moire indélicate les jouets oubliés sur la pelouse. A l’est, sous le perron de la cuisine et dissimulé par une haie d’aucubas, il y avait ce recoin que j’appelais « la grotte » où l’on rangeait les poubelles. C’est là que les chates de la maison venaient mettre bas, là aussi qu’elles se laissaient mourir et je m’étonne encore d’une de ces panthères noires à la fourrure soyeuse, inerte entre mes bras.  

Mon enfance c’est aussi la boule de cristal qui ornait la rampe de l’escalier au rez-de-chaussée. Je pouvais passer des heures à regarder les lueurs multicolores que le soleil de midi y faisait danser. Elles se reflétaient sur les murs et déclinaient en éventail au fil des heures comme un cadran solaire qui ne mesurait que le temps d’une enfance à rêver, assise dans l’escalier. Il y avait aussi un miroir mais était-il trop haut pour ma taille ? Je n’ai aucun souvenir de mon visage, il me servait uniquement à surveiller cette envolée de marches d’où on allait venir me chercher pour me laver, me coucher, dormir, et m’emmener vers tout ce noir que je redoutais.

Alors comme tous les enfants, je gémissais pour qu’on laisse la porte ouverte et la lumière, j’évoquais le bourdonnement des mouches à la sieste pour ne pas dormir et les moustiques le soir pour qu’on m’enduise de crème. Quand les pas descendaient l’escalier, je rallumais et prenais un livre. Très vite, pages refermées je continuais d’inventer l’histoire des images. Mon enfance ce sont des dizaines de récits imaginés qui me paraissent encore beaucoup plus beaux que leur réalité écrite.

J’ai eu une enfance à plein temps pendant quelques années, elle avait la douceur de sa peau un peu flétrie, sa voix sourde que j’aimais écouter appuyée contre son cœur. Et puis la vie s’est installée à Paris au quatrième étage d’un appartement que tous considéraient comme une prison sans soleil. Mon enfance, la vraie m’attendait au Chesnay, au bout de cette rue où les façades recouvertes de lierre frissonnaient au vent d’ouest. Cette enfance-là m’a regardée grandir de loin et parfois quand je revenais « en visite » certains week-end ou pour les petites vacances.

Je l’ai retrouvée un jour, beaucoup plus tard avec mes propres enfants, toujours au Chesnay et alentours avec vue sur les bois, les jardins, leurs chansons à eux et les vents d’ouest qui annonçaient les saisons. Depuis ce temps-là, où que j’aille, mon enfance ne me quitte plus, je lui souris et la tiens par la main.

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Journal de voyage en Inde du sud, extrait

6 Décembre 2012, 10:21am

Publié par Sybille de Bollardiere

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India4exemples Extrait d'itinéraire en Inde du sud en pdf 

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Zone d'ombre

3 Décembre 2012, 15:38pm

Publié par Sybille de Bollardiere

 

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A quelques jours d’intervalle, entre une nuit de poésie quai de Seine et les brises de l’ouest, je les ai raccompagnés, nonchalants inquiets, rêveurs lucides, la cigarette aux lèvres, bruns debout dans la brume de décembre. Ils m’ont laissé en partage quelques rêves et des verres sur le coin d’une table, leurs mots jetés en travers des jours, des noms, des sourires et l’envie d’un monde différent, beaucoup plus simple que celui que l’on prétend. Le mariage pour tous, un monde d’égalité tout simplement. Et, plus par pudeur que par indifférence, je les suis à voix-basse, fustigeant à demi-mots ceux que la liberté dérange.

Que puis-je faire d’autre moi la mère, la sœur, la nièce, l’amie d’homosexuels ? C’est une fin d’année qui sent le souffre dans une atmosphère de fin de règne et l’exclusion. Pourquoi tant de rage pour défendre les territoires du passé, les visions étroites et les causes perdues ? Bientôt on s’aimera en France comme on s’aime déjà en Hollande, en Norvège, en Belgique, en Espagne et même au Portugal et l’amour quel qu’il soit, ne peut être la fin du monde.  

Je ne dors pas. Il est deux heures, quatre heures et la lumière clignote dans la nuit, c’est le phare de facebook, la lueur verte d’un « ami » qui se lève pour écrire et poste avant d’aller dormir. C’est là que je guette l’air du temps, Julien l’étudiant-écrivain ou Eric le vieux, qui ne croit plus à rien ou encore Jenny qui a attendu en vain et s’en va finir la nuit, à deux mains sur son blackberry. Maria qui n’aime plus que les chats est revenue seule de Glasgow et Sorian remercie ceux qui étaient à sa signature hier soir. On s’est connues dans son ancienne vie mais c’est décidé, elle l’annonce, Anne repart pour l’ouest afin que dure cet amour qui n’aurait jamais du commencer. Piotr n’aime plus que les livres mais il n’écrira pas ce soir, trop de bière et d’ennuis et puis il a cours demain. Ici les chouettes tournoient dans la nuit.

Cinq heures, la lumière verte encore. Marianne déclare qu’elle ne supporte ni la médiocrité, ni les faux semblants, ni le mensonge et qu’elle entend bien le faire savoir. C’est ce qu’elle fait sur facebook, on entend que ça, cette clameur qui monte et tourbillonne en vert dans la nuit noire. Et voila c’est lundi, facebook étire sa gueule de bois au fil des statuts. « J’ai dit ça, mais c’est pas comme si je l’avais dit » « J’aime » « Bravo, tu as raison » « je t’aime ». Mes amis, à tort ou à raison, mes followers, moi aussi je vous aime et maintenant c’est lundi et j’ai repris goût à mon exil. Je dépose vos ex-voto au coin du cœur et des yeux, je me relis, je me rature et je m’expose en toute impunité. Ça se fera.

 « Confiteor Deo omnipotenti » ouvrez les yeux de ceux qui croient voir, les oreilles de ceux qui pensent avoir entendu car ils sont peu nombreux ceux qui ont compris de quoi il s’agit.


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Que reste-t-il de l'amour ?

21 Novembre 2012, 16:47pm

Publié par Sybille de Bollardiere

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"Silence" S. de B. 2005

Qu’est-ce que l’amour « après » ? En rentrant de Paris sur la ligne de train Montparnasse-Granville, je note des idées, des mots sur ces trois jours du Forum Philo du journal Le Monde, «L’Amour au Mans» - comme l’a nommé Olivier Steiner avec qui j’y suis allée - officiellement « l’Amour toujours ». Trois jours de conférences au cours desquelles nous avons écouté, noté, somnolé parfois, avant de chercher le soir notre chemin sur les départementales de l’ouest.

Le souvenir de ce que nous avons entendu et partagé, s’est édifié au fil des routes de l’Orne et de la Sarthe dans le brouillard de la nuit de novembre, comme s’il nous avait fallu ce sas d’oubli de soi et de perte de nos repères pour entendre autre chose que nos certitudes. Je suis revenue à la brume, à ma vallée et je me questionne : Que reste-t-il de « L’amour au Mans » sinon la superposition de nos échanges sur le sujet, de mes notes et de toutes les questions restées en suspens. L’amour ? De quel amour parle-t-on ? L’amour homosexuel ? A quelle place ?  Fallait-il aborder l’amour maternel et éviter d'autres amours qui dérangent, les amours interdites, le rapport de la loi et de l’amour ?

Je me demande aussi ce que l'on retient d’un forum, quand on range ses notes que l’on ne relira pas forcément. Que reste t-il de l’amour « après », sur nous, dans nos livres, dans la vie… Les notes, comme l’objet d’amour, qui n’est pas l’autre qui s’est absenté ou qui nous a quitté, mais ce qu’il laisse en dépôt, en souvenir ou par inadvertance. Un bijou, un pull oublié, une tasse dans l’évier. Mais aussi ce que nous avons pris de lui à son insu et rattaché à sa présence : le décor, l’amour de la terre qui a porté les instants communs, la couleur ou le parfum d’une saison, une chanson, tout ce que nous utilisons pour prolonger le temps de l’amour.

En dépit de ce que disait Pascal Bruckner durant le forum, citant la Princesse de Clèves, « Si l’amour ne peut défier le temps alors il est impossible ». Le plus souvent dans nos vies on ne garde que les preuves d’un amour et rarement l’amour lui-même. Qu’importe, chaque amour est inédit et blanchit la mémoire sans pour autant l’effacer. Je retrouve ces mots de Fabrice Hadjaj « L’amour invente un commencement même si c’est parmi les ruines » « L’amour se déploie dans une histoire...» Une circonstance, un temps, un espace, une géographie, que l’on revisitera en photo, en rêve ou tout simplement pour le plaisir de la raconter. Mais si, comme l’a dit Corinne Pelluchon « On ne peut définir la qualité d’un amour par sa durée », plus tard, qu’est ce qui fait qu’on se souvient ou pas d’un amour ?

« L’orgasme me (nous) dissout dans une volupté aveugle » disait Fabrice Hadjaj. Certes, mais dissous ou pas, on en reprendrait bien encore. On ne bâtit rien sur le sable des passions, mais que c’est bon. La volupté revisitée est un abîme de regrets qui ne peut qu’engendrer l’envie d’aimer à nouveau, « l’espérance infinie d’aimer » dont parlait avec émotion et grâce ce jour là Camille Laurens, qui avoue aussi avoir deux passions : L’amour et la littérature. Mais on court un risque en aimant l’amour. Il ne peut être son propre objet sans faire cruellement défaut. L’amour manque à sa parole, se joue de nous et l’effraction amoureuse nous laisse sans voix…

Ce n’était pas le cas de Christine Angot samedi dernier, d’être sans voix elle ne connait pas. Après dix minutes passées à se faire régler le micro spécialement pour elle, elle a pris la parole. Effets de prétoire tout comme son dernier livre me rappelle les minutes d’un procès. Où est l’amour ? Ses expressions, son visage, son jeu, son JE, ses haussements de ton martèlent les mots, son récit et disent un amour qui n’a jamais pour objet qu’elle-même.

Et que devient l’autre perdu en amour, cet autre dissous dans un idéal amoureux que le siècle peaufine à notre intention. L’autre que l’on évalue comme un possible objet de jouissance, un choix dont on examine chaque option… L’amour connecté, catégorisé, instrumentalisé, « pornographié » et finalement oublié. Eros ou Agapé il n’est même plus question de cela. « Le désir, maître absolu depuis les années 80 » comme l’a dit Alain Finkielkraut, a engendré « la muflerie de l’amour » et « Les engagements n’engagent plus ». C’est vrai que souvent, je t’aime signifie : j’ai envie de te baiser et parfois on précise comment. L’amour est une sous-culture du sentiment à la mesure des sites de rencontres pour : célibataires, mariés, séniors, catholiques, gays, lesbiennes, musulmans, militaires, cougar, SM, etc.… La difficulté des catégories c’est de se croiser. Certaines sont difficiles à concilier et on se demande comment font les seniors-catholiques-SM ou les lesbiennes-musulmanes-cougar… Pour s’appareiller avec garanties d’usage parce qu’au fond, il n’est question que de cela. L’amour le vrai, est libre, sans genre et sans frontières, ce sont ceux qui le font qui définissent les limites.

In fine, je me demande si l’amour n’est pas ce que l’autre fait de nous au fil des jours, au fil d’une rencontre. Ce qu'il a fait de notre préférence, notre révélation, notre transformation. Ce qu’il reste, de lui, d’elle, de nous, de ce qui a été vécu et que nous cultivons « en mémoire de », même sans y songer, parce que faisant partie de nous. En pensant à cela je peux dire simplement que j’écris par amour.

 

A propos du Forum « L’amour toujours »

Le Monde des livres

http://www.lemonde.fr/livres/article/2012/11/09/le-24e-forum-philo-le-monde-le-mans-pratique_1787826_3260.html

L’amour, une aventure obstinée Alain Badiou, Le Monde

http://www.lemonde.fr/livres/article/2012/11/09/l-amour-une-aventure-obstinee_1787817_3260.html

Faire la vérité dans l’amour , Fabrice Hadjaj, Le Monde

http://www.lemonde.fr/livres/article/2012/11/09/fabrice-hadjadj-faire-la-verite-dans-l-amour_1787819_3260.html

Votre roman d’amour préféré à L’université du Mans

http://scd.univ-lemans.fr/fr/animations_culturelles/expositions/test.html

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