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Sybille de Bollardière

poesie

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"je travaille à naître" Léon Deubel, le dernier poète maudit

5 Avril 2013, 09:43am

Publié par Sybille de Bollardiere

L’air est vif, acide et sent le feu de bois, l’hiver n’en démord pas. Alors « pour renaître » entre neige et pluie,  je lis ce poème de Léon Deubel, le dernier poète maudit, si connu de son temps et pour ainsi dire oublié.

 

Je travaille parfois à naître

D’un pays veiné de ruisseaux,

Populeux de pins et de hêtres

Et qui se décoche en oiseaux. 

 

C’est une terre recueillie

Que la menace des hauteurs

Rend grave à l’exemple des vies

Sui qui pèse et fond le malheur.

 

Entre les coteaux qui la bercent

Du lent bercement de leurs blés,

Elle apparaît, forte et diverse, 

Comme cent peuples rassemblés.

Léon Deubel, revue Europe, n° 1008, avril 2013, p. 280. 

 

 

Leondeubel1.jpgPauvre, inadapté à la vie sociale, Léon Deubel se suicida en se jetant dans la Marne après avoir brûlé tous ses manuscrits. 

 

Acte de décès retrouvé à la mairie du 4 èmearrondissement :

« L’an mil neuf cent treize le dix-neuf juin à trois heures du soir ; acte de décès de Léon, Louis Deubel, sans profession, domicile inconnu, né le vingt-deux mars, mil neuf cent soixante-dix-neuf, à Belfort (Territoire de Belfort), décédé vers le six juin courant, dans la circonscription de Charenton et transporté 3 quai de l’Archevêché. Fils de Louis, Joseph Deubel et de Marie Joséphine Mayer, décédé, célibataire. »

 

C’était le 6 juin 1913, son corps fut repêché dans la Marne et grâce à son ami le romancier Louis Pergaud, (auteur de La guerre des boutons) il échappa à la fosse commune et une souscription fut même organisée pour permettre l’édification d’un buste à sa mémoire et la publication de l’œuvre de Léon Deubel, le dernier poète maudit.  

 

Détresse

 

Seigneur ! je suis sans pain, sans rêve et sans demeure.

Les hommes m’ont chassé parce que je suis nu,

Et ces frères en vous ne m’ont pas reconnu

Parce que je suis pâle et parce que je pleure.

 

Je les aime pourtant comme c’était écrit

Et j’ai connu par eux que la vie est amère,

Puisqu’il n’est pas de femme qui veuille être ma mère

Et qu’il n’est pas de cœur qui entende mes cris.

 

Je sens, autour de moi, que les bruits sont calmés,

Que les hommes sont las de leur fête éternelle.

Il est bien vrai qu’ils sont sourds à ceux qui appellent.

Seigneur ! Pardonnez-moi s’ils ne m’ont pas aimé !

 

Seigneur ! J’étais sans rêve et voici que la lune

Ascende le ciel clair comme une route haute.

Je sens que son baiser m’est une pentecôte,

Et j’ai mené ma peine aux confins de sa dune.

 

Mais j’ai bien faim de pain, Seigneur ! et de baisers !

Un grand besoin d’amour me tourmente et m’obsède,

Et sur mon banc de pierre rude se succèdent

Les fantômes de Celles qui l’auraient apaisé.

 

Le vol de l’heure émigre en des infinis sombres,

Le ciel plane, un pas se lève dans le silence,

L’aube indique les fûts dans la forêt de l’ombre,

Et c’est la Vie, énorme encor qui recommence !

 (1900, place du Carrousel, 3 heures du matin.)


Deubel page de Titre Poesie Beffroi 1906 


Œuvres de Léon Deubel

La Chanson balbutiante. Éveils, Sollicitudes, la Chanson du pauvre Gaspard (1899)

Le Chant des Routes et des Déroutes (1901)

À la Gloire de Paul Verlaine (1902)

Léliancolies. La Chanson du pauvre Gaspard (1902)

Sonnets intérieurs (1903)

Vers la vie (1904)

Sonnets d'Italie (1904)

La Lumière natale, poèmes (1905)

Poésies (1905)

Poèmes choisis (1909)

Ailleurs (1912)

Régner, poèmes (1913)

Œuvres de Léon Deubel. Vers de jeunesse. La Lumière natale. Poésies. Poèmes divers. L'Arbre et la Rose. Ailleurs. Poèmes divers. Appendice, préface de Georges Duhamel (1929)

Lettres de Léon Deubel (1897-1912) (1930)

Chant pour l'amante (1937)

Florilège Léon Deubel, publié à l'occasion de son centenaire (1979)

 

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Poésie, Silvia Baron Supervielle

24 Mars 2013, 11:25am

Publié par Sybille de Bollardiere

77e-anniversaire-silvia-baron-supervielle-L-Cno1pI-copie-1.jpgLe matin, lorsque je me lève, j’ai la sensation d’avoir été mise sur la terre pour travailler. A quoi ? Je me sers des mots sur la feuille patiente comme le marteau sur le fer et la pioche sur la terre. Je me sers du silence pour filer. Il est probable que durant la nuit, comme Pénélope, je défasse mon ouvrage afin de le recommencer à l’aube : « C’est ainsi que ses jours passaient à tisser l’ample voile/et ses nuits à défaire cet ouvrage sous les torches »1

Travail de vivre, travail de mourir. L’excuse de ce travail est de le poursuivre aveuglément. Je suis venue au monde pour m’acquitter de cette tâche : poursuivre un travail, le mien, certes, et celui des autres. C’est elle, toi, nous penchés sur une immense toile que les vents de la nuit défont. Nous reprenons le tissage à l’aube. Nous tirons sur des fils où brillent les reflets de l’Atlantique. Les vents de la mer entrouvrent ses portes et, sans bouger, nous avons l’illusion de retrouver la liberté.

Silvia Baron Supervielle,

Le Pays de l’écriture, le Seuil, 2002

1Homère Odyssée, chant II, traduction de Philippe Jaccottet

http://fr.wikipedia.org/wiki/Silvia_Baron_Supervielle

http://poezibao.typepad.com/poezibao/2005/05/silvia_baron_su.html

 une-reconstitution-passionnelle-correspondance-1980-1987-ma.gifUne reconstitution passionnelle : correspondance 1980-1987

Marguerite Yourcenar, Silvia Baron Supervielle

Paru le 15 octobre 2009

Editeur  Gallimard

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"Les gens de la côte" de Monzer Masri

22 Février 2013, 16:40pm

Publié par Sybille de Bollardiere

 

 

Au café le matin, au café le soir

 

Le matin

entre dix et une heure

tu seras,

pour qui veut te voir,

à ta place habituelle

au café du trottoir est

suivant du regard

les morts

qui passent

Et le soir

entre cinq et neuf heures

tu seras,

pour qui veut te voir,

air détaché,

écrasé

à ta place habituelle

au café du trottoir ouest

mire du regard

des vivants

qui passent.

 

 

Navire égaré, rivage abandonné

 

Étais-tu navire égaré

et moi rivage abandonné?

Étais-je navire égaré

et toi rivage abandonné?

Ou étions-nous tous deux

navires égarés

qui se croisèrent au large

d’une mer sans rivage?

Aujourd’hui,

vagues giflant mon visage

et le giflant encore,

jamais plus

– je le sais –

rencontre n’adviendra

car nous sommes seulement

nous sommes depuis toujours

deux rivages

abandonnés.

 

Monzer Masri

poète et peintre syrien né en 1949 à Lattaquié

 Poèmes Traduits de l’arabe par Claude Krul, extraits du numéro de février 2013 de L'Orient littéraire

 « Les gens de la côte » est  paru en français aux éditions Alidadès en 2005.

 

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Lumière

18 Février 2013, 17:42pm

Publié par Sybille de Bollardiere

Le-Perche-8640.jpg

Le-Perche-8627.jpg

Le-Perche-8637.jpg

C’est encore l’hiver là-haut sur les plateaux

où le sang jaune des sillons sèchent sous le vent des corbeaux

mais si peu ici,

dans les vallons où le temps s’enivre de bleu.

Alors pour oublier l’attente et le ciel froissé des pluies

je délaisse, papier, crayons, clavier et fiction

pour la lumière du lavoir et celle des chemins.

Une journée comme en repos de soi

avec des mots de tous les jours

de lisières, de bois, d’écorce ou de sable

des mots de rien, du quotidien, même pas d’amour

mais plus que ça et je le sais bien.


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